Artistes et cinéma : un mariage de raison

Entrée des artistes

Devant et derrière la caméra

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1996 - 759 mots

Andy Warhol avait l’habitude de dire qu’il réalisait des films car c’était “plus facile que de peindre des tableaux”?. Mais pendant longtemps, l’idée qu’un artiste puisse mettre en scène un film était associée, aussi bien par les studios que par le public, au concept du “film d’artiste”?, c’est-à-dire promis aux pires résultats au box-office et donc particulièrement difficile à financer. La situation semble avoir changé aujourd’hui aux États-Unis, si l’on se réfère aux nombreux films réalisés par des artistes, mais aussi sur des artistes, actuellement sur les écrans de cinéma ou en préparation.

Non seulement un nombre sans précédent de films consacrés à des artistes sont réalisés – Picasso, Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Jackson Pollock, Robert Mapplethorpe… –, mais les artistes eux-mêmes passent derrière la caméra (lire ci-contre). Ces films n’étant pas des "films d’artistes", mais plutôt des produits commerciaux destinés à rapporter de l’argent, on comprend mieux pourquoi deux des artistes les plus côtés des années quatre-vingt, Julian Schnabel et David Salle, sont devenus apprentis réalisateurs à leur tour.

Mais pourquoi ce rapprochement entre art et cinéma a-t-il lieu maintenant ? Toujours à la recherche de nouveaux scénarios, l’industrie cinématographique défriche un terrain encore largement inexploré : la vie des artistes de ces quarante dernières années. Certains producteurs et metteurs en scène en panne d’idées sont convaincus de tenir un bon sujet avec ces destins brisés (Pollock, Basquiat, Mapplethorpe). Sans compter qu’au cours des années quatre-vingt, à mesure que les prix de leurs tableaux grimpaient, nombre de ces artistes sont devenus célèbres auprès d’un large public, et certains même des stars. Les films en question traitent d’ailleurs davantage de leur personnalité et des intrigues mêlant art et argent qui les entourent que du processus de création de leur œuvre. Ce à quoi Mary Harron, metteur en scène du film I shot Andy Warhol répond : "Impossible de filmer le processus créatif : il est entièrement interne. Le résultat est toujours tourmenté et prétentieux".

Carl Andre en procès
À l’exception de Surviving Picasso, le film de James Ivory sur la vie de Picasso pendant les années de guerre, la plupart de ces nouveaux films ne coûtent que quelques millions de dollars. Ces budgets réduits leur offrent une plus grande chance d’être bénéficiaires s’ils arrivent à trouver un public.

Certains ont déjà commencé à rapporter de l’argent, tel le documentaire consacré à l’auteur de bandes dessinées Robert Crumb, loué par la critique lors de sa sortie en 1995. Mais d’autres projets ont dû faire face à de sérieux obstacles. Pour Surviving Picasso comme pour le film sur Basquiat réalisé par Julian Schnabel, les ayants droit des artistes n’ont pas autorisé les metteurs en scène à montrer les œuvres d’art originales, ni même des reproductions.

Dans d’autres cas, les investisseurs se montrent réticents à débloquer les fonds nécessaires pour ce qu’ils considèrent n’être qu’une histoire intéressant le seul monde de l’art. C’est par exemple le cas de Naked by the Window, le livre de Robert Katz sur la mort du peintre Ana Mendieta, dont le sculpteur minimaliste Carl Andre était l’amant. Accusé d’avoir poussé sa maîtresse dans le vide depuis la terrasse d’un gratte-ciel new-yorkais, Carl Andre fut acquitté il y a une dizaine d’années au terme d’un procès marathon. Malgré l’intérêt de certains producteurs et metteurs en scène – en particulier à l’époque où Madonna souhaitait jouer le rôle d’Ana Mendieta –, le projet de Katz n’a toujours pas trouvé de financement.

Un feu de paille ?
Toutefois, certains producteurs expriment leur scepticisme face à cette vogue : "C’est un feu de paille, assure Bingham Ray d’October Films, le distributeur new-yorkais de Search and Destroy. Ce marché reste confidentiel, la plupart des gens ne savent pas qui est David Salle et s’en moquent complètement".

Il reste peut-être aux réalisateurs à exploiter, comme l’a fait Andy Warhol, un champ fertile à l’intersection des arts plastiques, de la pop music et de la mode. Ils disposeraient là de possibilités visuelles plus riches que celles offertes par les états d’âme complexes d’un peintre abstrait. De plus, l’ambiguïté sexuelle (travestisme, homosexualité, bisexualité) au cœur de la carrière de Warhol et de Mapplethorpe est au goût du jour, spécialement auprès des jeunes qui ne connaissent peut-être rien de leur œuvre mais forment cependant la plus large partie du public. Pour preuve, le succès des reprises des films d’Andy Warhol, tel The Velvet Underground (le groupe de rock emmené par Lou Reed) à propos duquel certains vétérans de la Factory rappellent avec amusement "qu’il avait été réalisé pour être projeté sur le mur pendant que le groupe jouait."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°26 du 1 juin 1996, avec le titre suivant : Entrée des artistes

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