Société

Du populisme à la française

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2025 - 614 mots

Des élites intellectuelles hors-sol engluées dans l’entre-soi, une politique culturelle négligeant le peuple pour favoriser des manifestations toujours plus élitistes, des artistes vivant uniquement grâce à des subventions pour saper le récit national et l’identité française : les simplifications de la rhétorique populiste gagnent du terrain, en France, chez des politiques et des médias.

Malgré la défaite de l’extrême droite aux législatives l’an dernier face à un front républicain, son influence grandit, portée par des victoires électorales ailleurs, en Europe et dans les Amériques.

Mais cette tendance serait-elle seulement conjoncturelle ? Le populisme ne serait-il pas plutôt ancré dans la société et la démocratie françaises depuis le XIXe siècle, du combat du général Boulanger (1837-1891) contre la IIIe République aux Gilets jaunes, du défenseur des petits commerçants et artisans Pierre Poujade (1920-2003) à Jean-Luc Mélenchon ? Observons que le populisme apparaît, disparaît puis revient comme s’il était finalement l’une des caractéristiques de la culture politique française sur le long terme. Telles sont les questions posées par le remarquable essai 1 de Marc Lazar. L’historien et sociologue relève que, depuis la Révolution, la démocratie française est traversée par une tension entre le régime représentatif et le principe de la souveraineté populaire, tension qui alimente une critique récurrente à l’égard des régimes politiques accusés de déposséder le peuple de son pouvoir. La Ve République a tenté d’y répondre en instaurant le référendum, mais elle ne le pratique plus. Elle est même devenue un accélérateur du populisme depuis la mise en place du quinquennat et l’apparition de candidats s’affichant antisystème ou disruptifs, comme Emmanuel Macron. La rhétorique populiste a débordé son cadre initial, a réussi à s’imposer comme un outil politique même là où on ne l’attendait pas.

Marc Lazar s’attache à définir un terme devenu un mot-valise. Il distingue trois acceptions qui peuvent également se recouper. La première proclame que du peuple émane la vérité. Le populisme en est l’idéologie en opposant un peuple vertueux à une élite corrompue. La deuxième constate qu’à certaines époques, il est surtout une stratégie pour conquérir le pouvoir en s’appuyant sur un chef charismatique et démagogique. Enfin, il peut se définir comme l’expression d’une légitimité culturelle, celle d’une culture du bas contre l’hégémonie du haut qui détruit les traditions et les modes de vie. C’est à cette troisième acception que se rattacherait le dernier mouvement qui a violemment secoué la France, celui des Gilets jaunes, très singulier pour autant puisqu’il était dépourvu de chef comme ses prédécesseurs. Marc Lazar reprend la formule de son collègue italien Giovanni Orsina : le populisme représente avant tout « une rébellion du concret contre l’abstraction ».

La référence au populisme peut être permanente, comme à l’extrême droite, où elle devient un national-populisme avec pour slogan « la France aux Français » dès la fin du XIXe siècle, remplacé par une « préférence nationale » au Rassemblement national. Un refus de l’universalisme, s’arc-boutant sur une définition ethnoculturelle de la nation. La référence peut être aussi de manière occasionnelle, comme au Parti communiste sous Maurice Thorez et sa lutte contre les 200 familles. Les maoïstes des années 1960-1970 – très actifs dans la vie culturelle et intellectuelle – ont, eux aussi, caressé le populisme, pas seulement parce que leur journal s’appelait La Cause du peuple, mais en embellissant le peuple, en l’exaltant, en s’érigeant comme son incarnation. Ne soyons pas dupes : même si l’extrême droite a perdu relativement les élections de 2024, cela ne garantit pas qu’elle échouera lors des prochaines élections. « Si le charme du populisme opère, c’est qu’il répond dans certains contextes bien précis à une attente, un besoin, une demande d’une partie de la population », nous avertit Marc Lazar.

1.ee, Marc Lazar, Gallimard, 320 p., 22,50 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Du populisme à la française

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