Des musées russes descendent sur la place Rouge

Ils n’ont plus ni chauffage ni électricité

Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1996 - 777 mots

Privés de chauffage, comme le Musée de l’Ermitage, ou contraints de n’ouvrir qu’aux seules heures où il fait jour, comme le Musée russe, la plupart des institutions culturelles russes sont aux prises avec de graves difficultés financières. Des fermetures sont même à craindre si l’équivalent de 1,25 milliard de francs de subventions publiques – soit 68 % du budget du ministère de la Culture – ne sont pas rapidement débloqués. Cette situation a conduit des représentants du monde culturel et des musées à manifester le mois dernier sur la place Rouge, à Moscou.

MOSCOU (de notre correspondante) - "Nous ne pourrons pas supporter indéfiniment une situation qui voit tous les services essentiels du musée suspendus les uns après les autres, prévient Mikhaïl Piotrovsky, directeur du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Aujourd’hui, par exemple, notre chauffage a été coupé. Il ne sera pas rétabli avant que nous ayons payé la facture des six derniers mois, qui se monte à l’équivalent de 700 000 francs. Je ne comprends pas cette logique, puisque l’entreprise qui nous fournit le chauffage dépend, comme nous, de l’État." La situation n’est pas meilleure au Musée russe voisin : "Dorénavant, il nous faut vivre en éteignant les lumières et en limitant notre ouverture au public aux seules heures où il fait jour, déplore le directeur, Vladimir Goussev. Cela devrait nous permettre d’économiser l’équivalent de 50 000 francs par mois, pour payer l’électricité et maintenir les alarmes anti-incendie en état de marche. Je ne vois pas d’autre solution."

Depuis le début de l’année, les sommes dérisoires versées par l’administration russe aux deux cent quarante institutions culturelles qui dépendent de l’État n’ont même pas suffi à couvrir l’ensemble des salaires des personnels. Ainsi, lorsque l’Ermitage s’est momentanément trouvé dans l’impossibilité de payer ses gardiens, ceux-ci se sont mis en grève. Tout comme le personnel de la galerie Tretiakov à Moscou.

Aux Archives de Zagorsk, des agents de sécurité d’une société privée se sont montrés particulièrement "compréhensifs" en acceptant de travailler sans être payés… pendant près d’un an. Le gouvernement est pleinement conscient de l’ampleur du problème, qui touche en particulier une liste officielle de quarante-six musées, bibliothèques et théâtres. Il a promis de mettre un terme à la crise actuelle et de débloquer les fonds nécessaires, tout en procédant à des contrôles pour le moins intempestifs. En effet, peu avant la manifestation sur la place Rouge – qui défilait au cri de "un salaire de bibliothécaire pour tous les membres du gouvernement !" –, le vice-premier ministre Victor Ilyouchine a invité les directeurs des principales institutions culturelles du pays à lui rendre visite. Le lendemain, Vladimir Goussev recevait une demande d’information concernant les sommes perçues par le Musée russe à l’occasion des prêts d’œuvres à des institutions étrangères… "Alors que nous ne recevons plus d’argent, nous avons été inspectés par les Impôts, le Trésor et le Contrôle des changes au cours des neuf derniers mois ! se plaint-il. Les autorités sont convaincues que nous disposons de ressources aussi colossales qu’imaginaires. En réponse à la dernière enquête ordonnée par Ilyouchine, nous leur avons fourni des informations qui peuvent être facilement contrôlées, avec le détail des contributions des mécènes, ainsi que celui des recettes issues du droit d’entrée, des boutiques et de la vente de nos publications. La somme totale représente à peine 2 % de ce que nous devrions recevoir comme subvention annuelle. C’est cet argent-là qui nous a permis de tenir ces derniers mois ! "

Ironie du sort, le Musée russe devait recevoir cette année une subvention exceptionnelle de 200 millions de francs, à l’occasion de son centième anniversaire. Cette somme devait per­mettre à l’institution de financer la rénovation de trois palais de Saint-Pétersbourg – les palais de Marbre, Mikhaïlov et Stroganov – destinés à abriter ses collections. Les dépenses déjà engagées par le musée s’élèvent à 62 millions de francs : la restauration s’est poursuivie jusqu’à ce que les entreprises perdent patience et plient bagage, au risque de voir l’hiver endom­mager les travaux  déjà effectués.

De son côté, l’Ermitage a échafaudé un véritable plan de survie : "Pour pallier l’absence de subventions publiques, nous allons commencer par réduire le nombre de salles ouvertes au public, déclare Mikhaïl Piotrovsky. Puis nous reviendrons au système en vigueur au XIXe siècle, quand il n’était possible de visiter le musée que si la lumière du jour était suffisante. Enfin, lorsque nous ne serons plus en mesure de payer les gardiens, la phase ultime verra l’Ermitage accessible uniquement sur l’Internet ! Si la situation empire à ce point, la responsabilité d’un musée est en effet de préserver ses œuvres d’art, plutôt que de les montrer sans se soucier des conséquences."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : Des musées russes descendent sur la place Rouge

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