Des cubistes à prix d’or

Un marché réduit et inflationniste

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 mars 1999 - 677 mots

Les œuvres cubistes, de plus en plus rares, tant en ventes publiques que dans les galeries, voient leurs prix s’envoler. Les collections privées de dessins et de tableaux de prix moyens sont le plus souvent européennes, alors que les grands toiles cubistes se retrouvent plutôt dans des collections américaines.

Les 13, 14 et 17 novembre 1921 ont été dispersés à Drouot plusieurs centaines de tableaux appartenant à la collection Kahnweiler qui avaient été placés sous séquestre au début de la guerre, le traité de Versailles autorisant la France à liquider les biens des sujets allemands. Parmi ceux-ci figuraient 57 Braque, 24 Juan Gris, 17 Léger et 72 Picasso. Le déversement en quelques jours d’une telle quantité d’œuvres cubistes avait saturé le marché, incapable d’en absorber autant. Les collectionneurs étant peu nombreux et les musées absents, les tableaux avaient été bradés. Ainsi, l’Homme à la guitare de Braque avait été adjugé 2 400 francs – le Centre Georges Pompidou l’a acheté quinze millions de francs en 1981 –, un Fernand Léger 2 500 francs. Ces prix dérisoires avaient permis aux marchands d’acquérir des œuvres qui ont ensuite alimenté les grandes collections internationales. De nos jours, les tableaux cubistes des meilleures années se négocient souvent en millions de francs. À l’automne dernier, au moment de la Fiac, Marcel Fleiss, de la galerie 1900-2000, a vendu 4 millions de francs un Picasso cubiste de 1919 représentant une pipe et un journal. Le 13 mai 1998, à New York, Sotheby’s adjugeait 1,5 million de dollars (environ 8 millions de francs) une nature morte de Fernand Léger. Un an plus tôt, le 13 mai 1997, Guitare et Verre (1914) de Juan Gris avait fait 1,2 million de dollars, et en novembre de la même année, un autre Juan Gris, Guitare (1913), était parti à 992 500 dollars (5,6 millions de francs), tandis qu’un Fernand Léger de 1917, Le Blessé, se vendait 882 500 dollars. “Aujourd’hui, les toiles cubistes sont rares et celles de grande qualité plus rares encore, explique Anisabelle Berès. La période dite cubiste est extrêmement courte. Si les tenants de ce mouvement ont beaucoup travaillé, on ne considère comme réellement cubistes que les œuvres des années 1907-1920. Un beau Picasso de 1912 vaut autour de 50 millions de francs. On ne trouve plus actuellement sur le marché que des dessins. Les plus beaux d’entre eux, de bonne qualité et bien datés, valent environ 1 million de francs”.

Pour Daniel Malingue, les œuvres cubistes ont bien supporté la période de crise qui a suivi la guerre du Golfe, au même titre que les grandes toiles de Matisse ou Cézanne. “Beaucoup de tableaux modernes n’ont remonté que de 30 % depuis 1992. Mais les œuvres cubistes ont retrouvé leur niveau du début des années quatre-vingt-dix”, souligne-t-il. Patrick Bongers, de la galerie Louis Carré, confirme la bonne tenue du prix de ces œuvres. “L’offre se raréfiant, les tableaux devenus extrêmement rares, il est de plus en plus difficile de satisfaire la demande. Il en résulte une forte hausse des prix. On trouve encore quelques œuvres cubistes tardives, des Marcoussis notamment, autour de 400-600 000 francs, ou des Gleizes entre 500 000 francs et 1 million”. En 1998, à la Fiac, Marcel Fleiss a vendu un paysage de Gleizes autour de 300 000 francs.

Lipchitz et Marcoussis
Les collectionneurs se comptent sur les doigts des deux mains. “On en connaît six ou sept en France, et à peine plus aux États-Unis, remarque Anisabelle Berès. Ils ne sont pas nombreux car ils doivent être à la fois riches – du fait des prix élevés – et spécialisés. Tout le monde n’est pas à même d’acheter des dessins cubistes, car ce sont des œuvres qu’il faut comprendre. Ces dernières années, nous avons plutôt vendu des dessins de Picasso, Gris, Léger, Gleizes, La Fresnaye. Actuellement, nous présentons des dessins et des gouaches de Lipchitz, Léger, Picasso et Marcoussis”.

Pour Marcel Fleiss, les collectionneurs de dessins et de tableaux de prix moyens sont avant tout français. En revanche, les grandes toiles cubistes se retrouvent plutôt dans des collections américaines.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Des cubistes à prix d’or

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