Des commissaires trop conservateurs ?

Les attentes du public deviennent une question essentielle

Le Journal des Arts

Le 7 novembre 1997 - 837 mots

Une réflexion est en cours à la Réunion des musées nationaux (RMN) et à la Direction des Musées de France (DMF) sur la programmation et la présentation des expositions, qui pourrait remettre en cause certains pouvoirs des commissaires.

PARIS - L’automne est contrasté pour la RMN : La Tour dépasse les 4 000 visiteurs par jour, Prud’hon, en revanche, n’atteint pas les 800. À défaut d’être liées à l’Impres­sionnisme ou à l’art égyptien, les grandes expositions doivent être particulièrement pédagogiques et soigner leur communication pour attirer et intéresser un large public. "Avec Serinde, une passionnante exposition, les commissaires ont dissuadé le grand public", lâche sans concession un responsable de la RMN. Certains affirment même que son seul titre, peu explicite, "l’a tuée alors qu’elle aurait mérité mieux que 65 000 entrées". "Pour Paris-Bruxelles, le thème était creux, le titre peu exaltant. Impossible de faire rêver avec cela", commente ce fonctionnaire des musées nationaux. "Bien souvent, poursuit-il, les commissaires ne cherchent pas à savoir si leur travail, aussi long et méritant qu’il soit, intéressera le public au moment où l’exposition sera prête". L’exposition a attiré moins de visiteurs (1 000 par jour, contre les 2 500 espérés) que Signac à Grenoble. Les échecs subis par "Nara", "Préault" et "Paris-Bruxelles" relèveraient d’un travers identique : le refus des commissaires de considérer ces paramètres essentiels en communication que sont le moment choisi pour la manifestation, son titre et la réceptivité du public. Le constat est amer pour la RMN, qui doit, pour se conformer aux décisions du ministère des Finances, ramener l’an prochain le déficit du budget expositions de 20 à 15 millions (lire le JdA n° 42, 29 août). Une contrainte qui implique "soit l’augmentation des recettes, soit la réduction du nombre des expositions présentées et des œuvres", s’accorde-t-on à reconnaître, mais sans vouloir trancher. Pour Christian Gouyon, chef du département des publics à la DMF, "une exposition, comme un musée, doit avoir un concept repérable par le public, identifiable immédiatement, un concept chargé de convivialité, de recherche, de partage, de plaisir. C’est à partir de là que l’on parle d’attente". "Les expositions ne sont pas assez pédagogiques. Le public critique souvent le manque d’explications plus fouillées et plus simples à la fois", explique-t-on dans le service des publics d’un grand musée parisien. Certains déplorent ainsi que la magnifique exposition sur Angkor n’ait présenté aucune photographie, ni plan ou carte du site permettant au public non averti de mieux resituer les œuvres dans leur contexte. Le zèle des commissaires qui refusent tout objet non œuvre d’art irrite beaucoup les responsables en contact avec le public. "La présentation des chefs-d’œuvre veut frapper le public, mais qui se soucie de l’amener à une connaissance plus claire, à une compréhension plus profonde ?”, interrogeait déjà André Chastel en 1974.

Le Grand Palais ne dispose pas de service pédagogique, faute de moyens financiers. "Le grand public ne recevant ni éducation artistique ni enseignement d’histoire de l’art et sa culture religieuse ayant presque disparu, toute une partie de la création passée peut lui sembler étrangère et éloignée, constate Christian Gouyon. Les expositions doivent expliciter davantage leur démar­che et accompagner leur discours scientifique". Avec La Tour, un progrès a été accompli puisque l‘environnement de l’artiste et des œuvres fait l’objet d’une attention particulière. Les spécialistes ne croient pas aux bornes documentaires multimédia, trop "chronophages", mais misent beaucoup sur l’audiovisuel, "insuffisamment exploité". À l’Institut du Monde Arabe, des documentaires étaient projetés dans le parcours de "Soudan" et, au Lou­vre, des extraits d’opéra dans le cadre d’"Égyptomania". Des exemples qui s’apparentent à des exceptions.

Essor de l’audio-guide
Nouvelle pratique, en plein essor, celle de l’audio-guide. Au Grand Palais, son introduction a permis à la RMN de confiner les conférenciers dans un espace spécifique. "Les groupes avec conférenciers peuvent gêner le public", explique Alain Madeleine-Perdrillat, chargé de la communication à la RMN. Depuis sa mise en place en avril 1994 au Grand Palais jusqu’à décembre 1995, son taux d’utilisation a plus que doublé. Ces audio-guides sont disponibles en français, mais pour leurs versions en langue étrangère, la loi Toubon impose que l’offre soit au minimum en deux langues. L’absence de cartels en anglais est dû également à cette loi."Quant au confort matériel de la visite, les avis recueillis suggèrent une demande générale pour son amélioration", reconnaît Olivier Bouquillard, du département des publics de la DMF. D’après les enquêtes du Louvre, l’insatisfaction la plus manifeste touche au confort : absence d’aires de repos, de sièges, de fontaines pour se désaltérer... "L’enjeu est tel avec les expositions du Grand Palais que la question des attentes du public est désormais essentielle", confie, en observateur averti, Jean Galard, directeur du service culturel du Louvre. La sensibilisation des commissaires à la “pédagogie” est un enjeu pour l’avenir, reconnaît-on à la Direction des Musées de France, où Françoise Cachin elle-même plaide désormais au comité des expositions pour qu’un effort soit accompli en direction du public et de ses attentes ; le cas échéant, au détriment de la satisfaction de l’ego des scientifiques purs et durs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°47 du 7 novembre 1997, avec le titre suivant : Des commissaires trop conservateurs ?

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