Entretien

Daniel Soutif, ex-directeur du Centre d’art contemporain Luigi-Pecci, à Prato (Italie)

« Prato est trop petite pour un musée aussi grand »

Le Journal des Arts

Le 3 février 2006 - 1276 mots

La commune de Prato, en Italie (Toscane), vient de sauver le Centre d’art contemporain Luigi-Pecci de la faillite en lui rachetant la totalité de ses biens pour 1,3 million d’euros – un montant à la fois important et dérisoire au regard de la seule valeur sur le marché des œuvres conservées par le musée. Cette décision a été prise en commun par le nouveau conseil de direction de l’association du centre, qui a pris ses fonctions le 14 septembre 2005, et le maire de Prato (lire l’encadré). Le montant négocié correspond au déficit financier du centre (estimé à 1 296 000 euros), un « trou » qui aurait forcé l’association à trouver une solution pour permettre à l’institution de poursuivre son activité. Tout en évitant « de disperser le patrimoine de l’association et d’ôter au public la possibilité d’admirer des œuvres d’un grand intérêt culturel », cette opération de sauvetage engage également cet organisme à définir un plan de redressement, notamment en réduisant ses coûts de fonctionnement. 30 % de la contribution annuelle de la commune devront en outre être utilisés pour des projets culturels de développement qui accompagneront les expositions. L’avenir du musée reste toutefois incertain, d’autant plus qu’en décembre 2005 son directeur, le Français Daniel Soutif, a quitté l’institution. Ce dernier revient sur les événements.

Que pensez-vous de cette prise en main de la Ville de Prato, qui a déconcerté le monde de l’art ?
Un redressement des comptes, problème incessant du musée depuis longtemps, est forcément positif. Je ne saurai dire si la méthode suivie est la meilleure : cela implique des considérations externes au monde des musées, et des aspects juridiques dans lesquels je ne veux pas entrer. Je ne suis toutefois pas convaincu de la nécessité de sauver l’association, et je me demande s’il n’aurait pas été préférable de transformer le Centre d’art contemporain Luigi-Pecci en institution publique, en le sortant ainsi de l’ambiguïté public-privé. De par mon expérience en France, j’ai l’habitude de situations muséales plus saines, plus claires, plus publiques. La commune de Prato est peut-être trop petite pour un musée aussi grand. Le nœud de l’histoire, passée et future, réside dans la politique culturelle menée par la Région : tant que celle-ci ne choisira pas de soutenir sérieusement le centre L.-Pecci, les choses ne changeront pas.

Quelle est la situation de l’art contemporain en Toscane ?
Si l’on considère le réseau régional par rapport au territoire national, la situation est somme toute positive, et je reconnais qu’il y a différentes choses intéressantes. Mais, vu de l’étranger, la Toscane est, pour l’art contemporain, un trou noir. Il n’y a en effet rien sur le territoire régional qui ait une visibilité internationale comparable au Castello di Rivoli, à Turin, au Mart, à Rovereto, ou au MaXXi, à Rome. Les institutions doivent dépasser un certain seuil dimensionnel, et pouvoir gérer en même temps une collection permanente qui s’enrichit de nouvelles acquisitions et des expositions temporaires d’un bon niveau. C’est pourquoi il aurait également fallu une surface beaucoup plus grande que les 6 000 m2 du centre, surtout dans une région où la concurrence de l’art ancien est très forte. Bref, il faudrait choisir de concentrer les efforts : il y a trois ans, en arrivant, j’avais fait le pari que le centre pouvait être le lieu idéal. Je ne suis pas rigide sur ce point, ce lieu pourrait être ailleurs dans le territoire toscan. Ce qui compte, c’est de réussir à le réaliser.

Quand vous avez été nommé directeur, vous aviez proposé d’agrandir les espaces du centre Luigi-Pecci.
J’avais ouvert un concours où avaient été présentés des projets très intéressants, parmi lesquels je tiens à rappeler celui d’Ugo Dattilo, élève d’Adolfo Natalini.

Quelles conclusions tirez-vous de ces trois années passées à la direction du musée ?
Je pense qu’elles ont été des années très productives pour moi et pour le centre, même si les choses n’ont pas évolué comme je l’aurais souhaité. Nous avons réalisé une vingtaine d’expositions, dont au moins cinq importantes, qui ont été très appréciées dans le milieu de l’art. Je me suis aussi consacré à enrichir la collection, en faisant entrer des pièces nouvelles sous forme de donations ou de prêts. Malheureusement, le prêt exige un suivi très long, c’est-à-dire que l’on doit entretenir, pendant des années et des années, des relations avec les collectionneurs ou la famille d’un artiste ; et un musée qui bégaie comme le centre L.-Pecci ne garantit aucune fiabilité en ce sens : si la confiance s’écroule, il faut tout recommencer. J’ai également accompli une importante restructuration du musée, et aussi une réorganisation interne.

On parle de réductions importantes des effectifs.
Je ne pense pas que cette opération sera spectaculaire. Compte tenu de l’importance du musée, le personnel n’est pas nombreux : il y a moins de trente personnes employées à temps plein et les coûts des effectifs n’atteignent pas 40 % du budget.

On ne prévoit pas de nommer de nouveau directeur artistique après vous : comment fera-t-on ?
Au moment où, il y a trois ans, j’ai pris la direction du musée, l’exposition de Mimmo Paladino s’achevait, et rien d’autre n’était prévu. Aujourd’hui, je quitte le musée avec une programmation pour toute l’année 2006 : en février débutera l’exposition « Œuvres d’Autriche. Perspectives fragmentaires : l’art au cœur de l’Europe », qui sera suivie d’une exposition en été, des œuvres de poésie visuelle des
années 1970 offertes par Carlo Palli ; il s’agit d’un ensemble important, d’expression locale mais en même temps de résonance internationale.
À l’avenir, s’ajouteront, à mon avis, deux autres projets d’exposition, consacrés à l’architecture radicale et aux artistes qui travaillent sur la musique. Pour l’automne, on avait annoncé une grande rétrospective de l’œuvre de Maurizio Nannucci, prévue depuis longtemps, et j’espère qu’elle aura lieu. J’espère également que le conseil de direction confiera à Stefano Pezzato [responsable du département des Expositions depuis 2003] la responsabilité de ces projets, en lui reconnaissant publiquement ce rôle. Par ailleurs, le statut du centre prévoit un poste de directeur, et on devra donc prendre une décision en ce sens le plus vite possible.

Quels sont vos projets ?
Je n’ai pas, dans l’immédiat, de projets institutionnels, car, après onze ans passés dans les musées, je souhaite me consacrer à des occupations plus personnelles. En France, j’ai dirigé l’édition d’un livre sorti récemment [L’Art du XXe siècle, 1939-2002. De l’art moderne à l’art contemporain, Citadelles & Mazenod, automne 2005] [lire le JdA no 226, 2 décembre 2005]. Je m’occupe actuellement de l’édition d’un autre livre sur la marqueterie à la Renaissance et, surtout, je suis en train de travailler à un grand projet d’exposition pour 2008, mais j’attendrai quelques mois avant d’en parler.

Une histoire mouvementée

Le Centre d’art contemporain Luigi-Pecci de Prato est né de l’initiative de l’industriel Enrico Pecci (1910-1988), qui avait pour idée d’offrir à sa ville un musée en mémoire de son fils Luigi. À la fin des années 1970, il soumet son projet à la commune, elle-même désireuse de fonder un centre d’études sur l’art contemporain. Inauguré en 1988, le centre est un exemple unique en Italie, en réunissant un musée d’art contemporain et le CID/Arti Visive, un centre d’information et de documentation sur les arts visuels, l’architecture contemporaine et le design industriel, lui-même fondé par la commune dès 1983. L’institution bénéficie de financements publics et privés : la commune de Prato, la fondation de la Caisse d’épargne de Prato, l’Union industrielle de Prato, le groupe bancaire Cariprato, le groupe Consiag (eau, gaz, télécommunications…) et la famille Pecci. L’association « Centre pour l’art contemporain Luigi-Pecci », financée par des fonds privés et publics et créée en 1987, est chargée de la gestion du lieu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : Daniel Soutif, ex-directeur du Centre d’art contemporain Luigi-Pecci, à Prato (Italie)

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