DADA/Paris, bataille de mots

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 novembre 2005 - 709 mots

La guerre finie, Paris qui demeure la capitale mondiale de l’art rassemble l’essentiel des acteurs de Dada. Auprès d’une élite d’écrivains et de poètes dont le jeune André Breton est l’animateur, le mouvement trouve une dynamique fédératrice avant que le surréalisme ne le dépasse.

Quoique les années de guerre aient tenu Paris à l’écart d’aventures artistiques nouvelles et que la capitale vivait sur ses arrières cubistes et futuristes, elle allait offrir à Dada un terrain de prédilection. En ces temps-là, la scène culturelle était surtout animée par les poètes et les écrivains. Alors que, dès 1916, Pierre Albert-Birot crée la revue Sic (Sons Idées Couleurs) au sein de laquelle il publie un manifeste, « Le nunisme » (du grec nun, « à présent »), désignant par ce terme toutes les formes d’avant-garde, Pierre Reverdy, épaulé par Apollinaire, lance à son tour l’année suivante Nord-Sud visant à défendre l’idée d’une poésie nouvelle non plus figurative mais créatrice. En 1919, proche de très jeunes auteurs comme Breton, Aragon et Soupault, Reverdy imagine encore avec eux la revue Littérature que rejoint bientôt Eluard (ill. 20). Dans le même temps, Francis Picabia qui est de retour de New York et qui entretient avec Tzara d’excellentes relations publie un premier livre de poèmes, intitulé Pensées sans langage, puis un autre, Unique Eunuque, préfacé par Tzara. Enfin, cette année-là, l’éditeur René Hilsum, condisciple de Breton au lycée Chaptal dans les années 1910, crée Au Sans Pareil, une sorte de galerie-librairie qui ne tarde pas à devenir le quartier général de l’avant-garde artistique et littéraire parisienne.

L’agilité verbale de Tristan Tzara
C’est dans ce contexte que Tristan Tzara arrive à Paris au tout début de l’année 1920. Il y est accueilli avec enthousiasme par Breton (ill. 20) et ses amis. Très vite, les conditions se trouvent réunies pour créer un foyer dada propre à Paris. En février, au Salon des indépendants, une matinée est consacrée au mouvement et le Bulletin Dada, sixième numéro de la revue Dada, est publié. Tzara y annonce la conversion à Dada de Bergson, d’Annunzio et du prince de Monaco. Par suite, si la représentation du Serin muet de Georges Ribemont-Dessaignes au théâtre de l’Œuvre, l’exposition de Picabia au Sans Pareil et le « Festival dada » à la salle Gaveau sont bien dans l’esprit originel de provocation de Dada, la publication des Champs magnétiques par André Breton et Philippe Soupault n’est pour eux qu’une façon de répliquer à l’extraordinaire agilité verbale de Tzara. Mais là où celui-ci s’en prend à des questions de matérialité, découpant, collant, assemblant mots et images, ceux-là suggèrent une sorte d’infra langage que révèle l’inconscient. Une différence qui marque l’écart opposant Breton et Tzara et qui préfigure leur séparation.

Effervescence et dissension
En cette attente, Paris devient le théâtre de toute une série d’actions protestataires qui prennent la forme tantôt de tracts, comme celui au titre de « Dada soulève tout » (ill. 23, 24) imprimé en janvier fustigeant Marinetti, le chef de file du futurisme, tantôt de véritables spectacles au processus mécanique au cours desquels les auteurs-acteurs invitent le public à exprimer son point de vue. Ainsi du « procès » que Dada fit à Maurice Barrès le 13 mai 1921, inscrit au programme d’une « grande saison dada » comptant « visites, salon dada, congrès, commémorations, opéras, plébiscites, réquisitions », etc. Cette année-là, le retour à Paris de Duchamp, une exposition de Max Ernst au Sans Pareil (ill. 21), le Salon dada à la galerie Montaigne, l’arrivée de Man Ray et son exposition en décembre à la librairie Six, la publication du Passager du transatlantique de Benjamin Péret (ill. 20), le manifeste Tabu lancé par Jean Crotti et Suzanne Duchamp, la parution du premier numéro d’Aventure par René Crevel témoignent de l’incroyable effervescence qui règne alors à Paris. Mais, en février 1922, le « Congrès pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne » qu’organise Breton et auquel il convie Tzara se solde par la rupture entre les deux chefs de groupe.
Le numéro de Littérature du mois de mars suivant s’éloigne nettement de l’esprit dada pour offrir à Breton l’occasion d’ouvrir une nouvelle voie qui le conduira à l’invention et à la rédaction du Manifeste du surréalisme à la fin de 1924.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°574 du 1 novembre 2005, avec le titre suivant : DADA/Paris, bataille de mots

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