DADA/New York, l’objet dans tous ses états

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 novembre 2005 - 640 mots

À New York, la ville par excellence de la modernité et du progrès, Dada trouve de quoi exprimer son culte de la machine et de l’objet. Marcel Duchamp qui y séjourne fait figure de mentor.

En 1913, la présentation par Marcel Duchamp (1887-1968, ill. 17) de son tableau intitulé Nu descendant un escalier n° 2 à l’Armory Show, première exposition réunissant à New York tout ce qui se faisait en matière d’avant-garde, peut être considérée comme le signe avant-coureur de la naissance de Dada outre-Atlantique. La figure éclatée du nu, perçue comme iconoclaste, préludait de fait aux recherches sur Le Grand Verre que l’artiste allait mener jusqu’en 1923 pour aboutir à la création d’une œuvre totalement inédite, ne faisant plus appel au médium de la peinture ni à aucune figuration convenue. Parallèlement, Duchamp – qui s’installa à New York pour plusieurs années – développait le concept de ready-made (ill. 7, 8), déclarant œuvre d’art des objets empruntés au réel qu’il présentait tels quels, pour leur seule valeur plastique, hors toute considération fonctionnelle. Prétextant la fin de l’art tel qu’il avait été jusqu’alors envisagé, l’artiste multiplia les inventions les plus inattendues et les gestes les plus osés, ne cessant d’ouvrir des brèches dans toutes les directions : assemblage, cinétisme, photographie, environnement… Loin de l’Europe en guerre, avide d’expériences plastiques nouvelles, Duchamp menait une démarche qui ne pouvait qu’adhérer à l’esprit dada. À New York, celui-ci trouva donc très tôt à se constituer – voire un peu avant la lettre – d’autant plus que l’arrivée de Francis Picabia (1879-1953) dès 1915 et la complicité amicale qu’entretint Man Ray (1890-1976) avec Duchamp contribua à en favoriser l’émergence.

Le culte de la machine
Les préoccupations de Picabia sur le terrain d’une iconographie qualifiée par lui de « mécanomorphe » rejoignaient notamment le souci de désacralisation de Dada (ill. 18, 22). Si ses travaux au graphisme digne d’un dessin industriel témoignent de sa fascination pour la civilisation mécanique américaine, ils participent surtout à un culte de la machine dont Picabia considérait qu’elle est « réellement une part de la vie humaine. » Le développement de son art vers une sorte d’abstraction constructiviste, ordonnée selon un schéma simplificateur, déboucha sur une production de compositions et de collages dans une manière dada fortement appuyée. Des œuvres comme Très rare tableau sur la terre (1915) ou Voici la fille née sans mère (1918) préfigurent par là même ce qu’il en sera d’une esthétique froide, proche d’un certain hyperréalisme.

Man Ray, « prince du déclic »
Peinture, engins mécaniques, anatomie, architecture…, l’Américain Man Ray était d’une insatiable curiosité. Familier de la galerie 291, fondée par Alfred Stieglitz et Edward Steichen, où l’on pouvait voir toute l’avant-garde européenne, il réalise dès 1917 une série de peintures dites Aérographes, des « formes pseudo-mécanistiques » (ill. 19). Entraîné par Duchamp à l’iconoclasme, il s’intéresse à la photographie et crée un nouveau type d’images, qu’il désigne du nom de Rayogrammes, obtenues par simple insolation d’un objet directement placé sur le papier sensible. La part d’arbitraire d’une telle invention confère aux images une force poétique peu commune et un caractère d’étrangeté qui en conforte non seulement l’esprit dada mais qui préfigure l’une des modalités majeures de création propre au surréalisme. Breton dira d’ailleurs de Man Ray qu’il était « le boussolier du jamais vu, le naufrageur du prévu, le prince du déclic. »

Autour de l’exposition

L’exposition « dAdA » se tient du 5 octobre au 9 janvier 2006, tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h, le jeudi jusqu’à 23 h. Tarifs : 9 et 7 euros. PARIS, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, galerie 1, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr L’exposition qui regroupe plus de 1000 œuvres de 50 artistes veut montrer que le mouvement dada fut international et eut une forte influence sur certains courants artistiques contemporains.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°574 du 1 novembre 2005, avec le titre suivant : DADA/New York, l’objet dans tous ses états

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