Cranach, Tiepolo, Claude Lorrain

Le cadre exceptionnel de la Biennale

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 11 septembre 1998 - 1181 mots

Si les maîtres anciens dominent à la Foire de Maastricht, ils sont très nombreux cette année au Carrousel du Louvre, où ils prennent – par la proximité des meubles et objets d’art – un “ton de Biennale�? propre à Paris. Et il faut retrouver, à la Mairie du Ve, les plus beaux Tintoret de Venise.

A Paris, en ce début d’automne, les amateurs des écoles du Nord de l’Europe seront particulièrement gâtés. Grand spécialiste du genre, Georges de Jonckheere expose à la Biennale, parmi 70 tableaux, une œuvre inédite de Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553). Le peintre est connu pour les nombreux portraits qu’il laissa de personnalités princières, de Martin Luther et d’électeurs de Saxe, dont ce portrait de Frédéric le Sage (1525) auprès duquel Cranach vécut près de cinquante ans comme peintre de la Cour. Les traits du visage, rigoureusement dessinés, se détachent sur un fond noir, sous une lumière homogène. Peintre flamand beaucoup plus tardif, Cornelis van Spaendonck est réputé pour ses compositions de fleurs et de fruits, telles ces Fleurs dans un vase d’albâtre sur un entablement devant un paysage (Galerie d’art Saint Honoré). Cette œuvre caractéristique de l’artiste représente un bouquet de fleurs de différentes saisons, composé notamment de lilas jaunes et rouges aux tonalités lumineuses. De fines gouttes d’eau posées sur le feuillage donnent à cette représentation une impression de grande fraîcheur. La Vue de La Haye du côté nord-nord-ouest peinte par Jan ten Comple en 1746, provient d’une collection privée américaine et n’a jamais figuré dans une vente publique. “C’est un beau tableau du XVIIIe siècle, exécuté par l’un des meilleurs artistes de sa génération, explique Bob Haboldt. Les vues topographiques de paysages néerlandais sont devenues très rares sur le marché”. Une autre version de cette composition, signée et datée de 1750, se trouve dans la collection du Musée Ridder P. Smidt van Gelder à Anvers. Denys Calvaert (1540-1619) est comme Cornélis van Spaendonck originaire d’Anvers, qu’il quitta jeune pour parfaire son apprentissage à Bologne dans l’atelier de Propero Fontana, puis dans celui de Lorenzo Sabatini, sous la protection de l’influente famille Bolognini. L’Adoration des Mages, présentée par Emmanuel Moatti, est un exemple de virtuosité technique et de raffinement. Il existe plusieurs dessins préparatoires dont l’un se trouve au Louvre (ancienne collection Jabach). Cette œuvre est à rapprocher d’une autre conservée à la National Gallery of Scotland, Sainte famille avec saint Jean-Baptiste, datée de 1593-1594. La rondeur du visage et les couleurs assourdies et douces reflètent l’influence de Baroccio (1535-1612) qui exécuta à la cour d’Urbino de nombreuses peintures de dévotion d’une grâce maniérée.

Le Tintoret et Tiepolo
Sarti présente une Vierge à l’Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste (tempera et huile sur panneau) exécutée par Jacopo di Arcangelo, dit Jacopo del Sellaio, qui aurait été l’élève de Filippo Lippi. C’est dans l’atelier de ce dernier que Sellaio fit la connaissance de Botticelli dont l’influence sur son œuvre fut déterminante. Le visage et le front bombé de la Vierge se réfèrent aux types botticelliens des années 1480, tandis que le dessin des mains longues et structurées témoigne de la tendance de Sellaio à s’inspirer du sens dramatique de Botticelli. La galerie Sarti présente, parallèlement à la Biennale, une exposition d’une vingtaine de Primitifs italiens.

Iacopo Robusti, dit le Tintoret (1518-1594), auquel la mairie du Ve arrondissement de Paris consacre une exposition, vouait une grande admiration à Michel-Ange, que l’on discerne à la fin de sa vie par quelques emprunts. La majeure partie de la vingtaine d’œuvres réunies a été prêtée par le Patriarcat latin de Venise ; d’autres proviennent de collections ou musées français. Le Christ au jardin des Oliviers, le tableau le plus important, a été exécuté par Tintoret et son atelier autour de 1580, pour l’église Santa Margherita de Venise. Un dessin préparatoire autographe pour l’apôtre Jean, conservé au British Museum, démontre cependant que Tintoret conçut personnellement cette œuvre dans chacune de ses parties et reporta aussi très probablement le dessin des figures sur la toile, comme à l’accoutumée, à grands traits larges et noirs, en confiant à l’atelier dirigé par son fils Domenico la pose des couleurs et le traitement de l’éclairage nocturne.

Autre surprise, au Carrousel du Louvre cette fois, avec une œuvre de Giambattista Tiepolo, Le Temps découvrant la Vérité, exécutée entre 1745 et 1760, que présente Bob Haboldt. En plus de ses peintures et retables, Tiepolo créa un certain nombre de fresques décoratives pour les églises et les bâtiments séculiers de Venise et des environs. Antonio Joli (1700-1777) appréciait beaucoup les compositions figurant des ruines. En témoigne ce grand format, Capriccio avec ruine, piscine thermale et baigneurs, exposé sur le stand de Maurizio Canesso, une composition mêlant de façon composite à l’architecture antique des éléments gothiques. Cette toile a été déclinée en différentes versions, dont l’une est conservée à la Galleria dell’Accademia de Venise.

Un dessin de Claude Gellée
Les collectionneurs de tableaux de grands maîtres français comme le Lorrain, Greuze, Prud’hon et Delacroix, ne manqueront pas de faire un détour par le nouvel espace de la galerie Emmanuel Moatti, face à l’Élysée. Ils y découvriront notamment un tableau de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), l’Agneau chéri, datant des années 1780-1785, caractéristique de son style. Celui-ci place les personnages dans un fond de paysage esquissé, où apparaît une femme au regard perdu, mélancolique, assise près d’une tombe ouverte. En face d’elle se trouve un enfant également perdu dans ses pensées.

Peinture française toujours sur le stand de Virginie Pitchal avec ce Portrait de Charles Quint, une huile sur panneau exécutée par le Maître de la Légende de Sainte-Madeleine (début du XVIe siècle). “Il existe très peu de toiles de Charles V jeune, commente l’antiquaire. Le tableau a été peint juste après son couronnement, alors qu’il était âgé de 20 ans. Un autre portrait du roi est conservé au Musée de Brou à Bourg-en-Bresse”. Alexandre-François Desportes (1661-1743) essaya aussi de se faire un nom dans ce genre en tant que portraitiste officiel du roi de Pologne. Rappelé en France par Louis XIV, il revint à sa première spécialité – la peinture animalière – tant la concurrence dans le domaine du portrait était grande. Il obtint sa première commande pour la Ménagerie de Versailles et devint en quelques années le peintre animalier le plus renommé de France introduisant dans le pays un genre hérité des Flamands. Cette Nature morte au gibier et aux fruits (galerie Emmanuel Moatti) qui constitue un exemple du talent de Desportes, prend sa source dans l’art des Hollandais Jan-Baptist Weenix et Willem Van Aelst. Du côté des dessins anciens, signalons cette Tête d’aigle de Gilio Pippi, dit Giulio Romano (1499-1546), qui fut l’un des élèves préférés de Raphaël. Cette feuille serait une étude préparatoire pour les quatre aigles en stuc doré prévus comme éléments de décoration pour une pièce du Palazzo del Te, dont Romano fut chargé de l’embellissement. Beaucoup plus tardif, ce dessin au crayon noir, à la plume et lavis brun et gris, rehaussé de gouache blanche de Claude Gellée dit Le Lorrain, Bergers dans un paysage, présenté par la galerie de Bayser, a été exécuté vers 1660-1665.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : Cranach, Tiepolo, Claude Lorrain

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