Contrecoup de l’affaire Schiele

L’Autriche veut régler la question des spoliations

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 9 octobre 1998 - 634 mots

Affaire Schiele oblige, l’Autriche s’est imposée un douloureux examen de conscience sur la question des spoliations de biens juifs pendant la dernière guerre. Résultat de cette réflexion, le gouvernement va présenter un projet de loi tendant à régler le sort des œuvres entrées de façon “douteuse�? dans les collections publiques.

VIENNE - Conséquence directe de la tempête soulevée par la saisie de deux tableaux d’Egon Schiele à New York, le gouvernement autrichien, dirigé par le social-démocrate Viktor Klima, a adopté en conseil des ministres un projet de loi sur les restitutions d’objets d’art volés aux Juifs. Selon ce texte, qui sera présenté au Parlement courant octobre, toutes les œuvres ayant appartenu à des Juifs et parvenues de manière “douteuse” dans les musées autrichiens, devront être rendues à leurs anciens propriétaires ou à leurs héritiers. En janvier, la ministre en charge des musées, Elisabeth Gehrer, avait demandé à dix musées ainsi qu’à la Bibliothèque nationale et à l’Office pour la protection des monuments d’enquêter sur toutes les acquisitions de ce genre entre 1938, date de l’annexion de l’Autriche par le IIIe Reich, et 1945. Elle souhaite que les restitutions commencent avant la fin de l’année. Pour le moment, seul le Kunsthistorisches Museum de Vienne a achevé cet inventaire qui, selon la presse autrichienne, aurait permis d’identifier 900 objets d’art entrant dans cette catégorie. Y figurent notamment les prestigieuses pièces de la collection de la branche autrichienne de la famille Rothschild, qui comptent au moins deux portraits de Frans Hals. Dans un autre musée viennois n’ayant pas encore terminé son recensement, se trouvent plusieurs tableaux de Klimt, jadis propriété de la famille juive Bloch-Bauer.

Le statut juridique des œuvres d’art visées par la loi n’est pas uniforme, car toutes ne sont pas entrées dans les collections de la même manière. Les premières ont été remises aux musées par les autorités nazies, le plus souvent la Gestapo, et y sont demeurées. La catégorie la plus importante couvre les objets d’art légués sous pression aux musées par des familles juives ayant émigré à l’étranger ; elles avaient reçu, en contrepartie de ces “legs involontaires”, des autorisations d’exportation pour leurs pièces de moindre valeur. La collection Rothschild est dans ce cas. Les musées hébergent enfin des œuvres en déshérence déposées par les nazis, ou par des propriétaires ayant disparu depuis ou ne s’étant pas manifestés. Si la loi est votée, ces dernières seront remises à un fonds qui devra les vendre dans un but caritatif.

Attaques de l’extrême-droite
Ce courageux projet sur les restitutions a aussitôt provoqué de violentes critiques de la part de Joerg Haider, leader de la droite nationaliste. Ses propos ont eux-mêmes soulevé un tollé de protestations dans les autres partis politiques ; un député des Verts lui a ainsi reproché d’avoir “banalisé l’Holocauste”. En effet, Joerg Haider n’a pas hésité à placer sur un pied d’égalité le sort des victimes juives de l’Holocauste et celui des quelque trois millions d’Allemands de la région des Sudètes expulsés par la Tchécoslovaquie après 1945. “Si des émigrants juifs font des demandes, les réparations sont pour ainsi dire sans limites. Si les Allemands des Sudètes [...] demandent la même chose, on dit qu’il faut un jour y mettre un point final”, a estimé M. Haider, concluant qu’“on ne peut pas traiter les mêmes faits de manière différente”. Le président de la communauté juive autrichienne, Ariel Muzicant, a jugé ces propos “obscènes” et fait allusion au “problème tout à fait personnel” de M. Haider, qui “vit aujourd’hui dans une propriété valant des centaines de millions de schillings, extorquée à une famille juive contrainte de la vendre pour quelque 100 000 schillings”. Autrefois, propriété d’une famille juive contrainte à l’exil en Palestine après 1938, l’immense propriété de M. Haider était ensuite revenue à un de ses oncles avant que lui-même en hérite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Contrecoup de l’affaire Schiele

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