Chasse à l’élite

Le Musée de Caracas perd sa fondatrice

Le Journal des Arts

Le 16 mars 2001 - 457 mots

CARACAS - Directrice depuis vingt-neuf ans du Museo de Arte Contemporaneo de Caracas Sofia Imber (Maccsi), auquel elle a donné son nom, Sofia Imber n’a pas caché la surprise causée par son renvoi. La décision émane directement du président vénézuélien, Hugo Chávez. Entamant sa “révolution culturelle bolivarienne”, ce dernier a remplacé les directeurs des principaux musées, galeries, théâtres, cinémas et orchestres de Caracas, les accusant d’élitisme. Si ce grand ménage a été annoncé lors du programme télévisuel dominical, Aló presidente, le président n’a pas pour autant précisé comment sa vision d’une culture populaire pourrait tirer parti de cette restructuration radicale. En règle générale, c’est au Consejo Nacional de la Cultura, organisme d’État dirigeant les institutions culturelles, qu’il revient de prendre de telles décisions. Le geste du charismatique Hugo Chávez, pourtant proche de la gauche démocratique, n’a pas manqué d’apparaître comme autoritaire : une ingérence culturelle d’une telle ampleur n’avait plus été observée dans ce pays depuis la dictature militaire de 1948-1959.

“Le changement était nécessaire, mais le peu d’égards et le caractère autoritaire de ces renvois laissent un goût amer”, résume Odalys Sanchez de Saravo, directeur de la maison de vente aux enchères vénézuélienne, Odalys. “Le problème ne vient pas tant des personnes qui occupent à présent ces postes de direction – la plupart travaillent dans les institutions depuis des années et poursuivront la politique de leurs prédécesseurs – que des mesures prises par Hugo Chávez.” Dans son discours d’adieu, Sofia Imber, surnommée “la Reina Sofia II”, eu égard à sa position de doyenne du monde de l’art de Caracas (soixante-dix-sept ans) et à son ambition de concurrencer le plus grand musée d’art moderne d’Espagne, a d’ailleurs fait l’éloge de sa remplaçante, Rita Salvestrini. La présentant comme “extraordinairement compétente”, elle a ajouté qu’elle était heureuse de laisser le musée “en de bonnes mains”. Mais, pour Sofia Imber, les raisons de son licenciement restent obscures. Ouvertement critique à l’égard du président, et menacée de renvoi par deux fois, elle ne souhaite d’ailleurs pas les connaître. “C’est moi qui aie fondé ce musée ; personne ne pourra jamais m’enlever ça, je ne me séparerai jamais de ce musée ; où que je sois... je ne pense que par et pour le musée. Il y de cela plus de vingt-cinq ans, je ne disposais que de 7 000 bolívares et de 700 m2. J’ai quitté un musée qui compte à présent 2 100 m2, 17 salles, une collection permanente de 4 019 œuvres d’art, dont 1 742 œuvres étrangères et 2 277 œuvres nationales, et qui emploie 212 personnes.” Riche en œuvres de Picasso, Chagall, Moore, Duchamp, Braque, Calder, Botero, Soto et Freud, la collection permanente du musée est en effet souvent citée comme l’une des plus riches d’Amérique latine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : Chasse à l’élite

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