Bruegel, une signature en or

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2012 - 776 mots

Les prix des tableaux de cette dynastie ont connu une forte progression depuis trente ans, quelle que soit la qualité des œuvres présentées n Les collectionneurs achèteraient-ils avant tout une signature”¯?

Bruegel a été le plus accompli de son temps : personne ne le niera, si ce n’est un jaloux, un rival ou quelqu’un qui ne connaît pas son art. ». À sa mort en 1569, Bruegel l’Ancien est considéré comme un artiste de tout premier rang comme en témoigne l’éloge funèbre que lui consacra le géographe anversois Abraham Ortelius. La cinquantaine de toiles dont il est reconnu être l’auteur est aujourd’hui toute dans des musées. La dernière apparue en vente publique était un petit panneau de noyer circulaire, L’Ivrogne poussé dans la porcherie, qui a été adjugé en 2002 à Londres chez Christie’s l’équivalent de 4,2 millions d’euros, un record mondial pour le peintre.

Quand il meurt, en 1569, à 44 ans, Pierre L’ancien laisse derrière lui deux fils : Pierre Le Jeune dit Bruegel d’Enfer (1564-1638), et Jan l’Ancien dit Bruegel de Velours (1568-1625). Le père disparu, ce sont deux femmes qui se chargeront de perpétuer l’esprit Bruegel auprès des rejetons. Leur mère Maria Verhulst forma Pierre II, alors que leur grand-mère Marie de Bessemers, veuve du peintre Pierre Coecke van Aelst, s’occupa de l’éveil artistique de Jan. Les toiles de Pierre l’Ancien ont bénéficié d’un véritable engouement au début du XXe siècle, entraînant dans leur sillage celles de ses deux fils. Les œuvres de Bruegel d’Enfer et Jan de Velours, à la faveur d’une exposition organisée à Amsterdam par la galerie P. De Boer en 1934, jouiront, à leur tour, d’un regain d’estime. Ce marché se se structurera à partir des années 1970 et 1980, grâce au travail de plusieurs marchands dont Georges De Jonckheere, père et fils, Johnny Van Haeften, Robert Green et Monica Kruch. Les tableaux des Bruegel auraient vu, en valeur constante, leur prix multiplié par plus de cent, en trente ans. Une progression qui s’est encore accélérée ces dix dernières années. Un Bruegel d’Enfer qui partait au début des années 1980 pour 450 000 euros se négocie aujourd’hui jusqu’à 8 millions d’euros, son prix record. Des niveaux étonnants pour un peintre dont les œuvres se vendaient de son vivant à des prix très modestes.

À la tête d’une véritable activité commerciale, Pierre Le Jeune était entouré d’une dizaine d’assistants, dont Frans Snyders et Gonzales Coques. Son atelier visait un marché de moyenne ou de petite importance. La comparaison des treize versions qu’il réalisa du Dénombrement de Bethléem montre de grandes différences de traitement et de qualité. Les toiles de faible valeur commerciale étaient probablement moins soignées – détails et couleurs – et bénéficiaient de pigments de moins bonne qualité que celles qui se négociaient à des prix plus élevés. Son œuvre très abondante se compose surtout de copies de tableaux de son père qu’il a ainsi contribué à mieux faire connaître et de charmantes petites scènes rustiques de son invention. Pierre Bruegel le Jeune apparaît aujourd’hui comme un cas unique sur le marché du tableau ancien. Les copies qu’il réalisa de tableaux de son père partent à des prix très élevés comme en témoignent les 8,7 millions d’euros – un record mondial – obtenus en décembre 2001 chez Christie’s Londres par un Combat de Carnaval et Carême. Des prix jamais atteints par de copies d’œuvres de Rembrandt ou de Rubens par exemple.
« Ce sont des œuvres rassurantes car les sujets sont identifiés, connus et faciles à reconnaître. Des œuvres très plaisantes réalisées avec un savoir-faire technique qui fait qu’elles sont le plus souvent dans un état de conservation acceptable », souligne Elvire de Maintenant, spécialiste au département de tableaux anciens chez Christie’s Paris. « Ce ne sont pas des copies mais des variantes. Le maître ne se copie pas lui-même », rétorque de son côté Florence de Voldère, marchand de tableaux anciens. Les prix des œuvres de Jan Bruegel de Velours sont tout aussi soutenus. Il est vrai que le fils cadet de Pierre Bruegel l’ancien est un peintre doué, raffiné, doté d’une technique exceptionnelle. « C’est un grand artiste, un vrai créateur. Il a donné un rayonnement à tous ses sujets : paysages, bouquets de fleurs, banquets, tableaux religieux et allégories. C’est un peintre extrêmement régulier, ses œuvres sont d’une grande perfection », insiste Florence de Voldère. Ses petits panneaux émaillés (23 x 34 cm) peuvent dépasser les 3 à 4 millions d’euros en ventes publiques.

Les toiles de Jan Bruegel le Jeune (1601-1678), moins talentueux que son père dont il reprend nombre de sujets, sont elles aussi très chères. Le record est détenu par un ensemble de cinq toiles figurant les Cinq sens qui s’est envolé pour l’équivalent à 3,1 millions d’euros en octobre 2001 chez Christie’s. Un signe que les collectionneurs achètent avant tout un nom magique, celui d’une célèbre dynastie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Bruegel, une signature en or

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