Attention sensible !

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 777 mots

Si les artefacts aux formes épurées traversent les siècles, ce n’est qu’au XXe, avec la modernité, que l’art s’est véritablement emparé de ces « Formes simples ». Une exposition originale du Centre Pompidou-Metz.

Que sont donc des « formes simples » ? Des formes épurées, évidentes peut-être, au dessin et à la confection situés aux antipodes du maniérisme, entre autres ébauches de définitions. Une évocation tant du développement de l’intelligence que d’un retour aux origines, ainsi que l’illustre une image du monolithe dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace (2001) de Stanley Kubrick, image presque cachée dans un coin. Mais ce que propose le Centre Pompidou-Metz ne se lit pas comme une tentative de dresser un inventaire ou de définir des typologies de ces formes – projet de toute manière impossible. L’exposition qui leur est consacrée tente plutôt d’immerger le visiteur dans des registres formels qui, toutes catégories confondues, et sans pouvoir précisément déterminer pour quelles raisons, fascinent et captent l’attention et le regard.

Avec un parcours servi par une scénographie légère et presque aérienne imaginée par Laurence Fontaine, tout en courbes et en ondulations, multipliant points de vue et perspectives, Jean de Loisy, le commissaire, s’est attelé à la tâche de belle manière. Ce en invitant à déambuler entre des préoccupations d’usage ou de pensée liées à ces formes, tout en faisant systématiquement cohabiter, salle après salle, des œuvres issues d’horizons culturels divers. Car ce qui s’impose tout au long de l’exposition comme une évidence qu’il était néanmoins utile de rappeler, c’est la permanence historique et l’universalité de ces formes simples.

Science intime
Les exemples abondent. Parmi les premiers, dans une salle portant sur la silhouette humaine, se détache une tête cycladique en marbre (Tête de figure féminine, Cycladique ancien II, 2700-2300 av. J.-C.) installée à proximité d’un plâtre de Brancusi matérialisant sa célèbre Muse endormie (vers 1917), duo auquel s’ajoute avec subtilité la photographie resserrée d’une cuillère de Patrick Tosani (K, 1988). Inattendues, dans un rappel de la géométrie et de son insertion dans la dynamique du réel, des sculptures en aluminium peint de Tony Smith, issues de sa fameuse série des Ten Elements (1975-1979), voisinent avec une incroyable collection de minuscules figures en terre cuite confectionnées au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste Romé de L’Isle, tentative de recensement des formes de cristaux (Modèles de cristallographie), ainsi qu’avec des sphères en grès de l’âge du bronze (2200-800 av. J.-C.) décorées de motifs de cercles ou de spirales. Plus loin, relativement cette fois à l’ingénierie, une hélice Éclair (1916) de Marcel Dassault et une pièce de moteur d’avion (GE90 Design Team, Jet Engine Fan Blade, 2001) font face à une sculpture en bois lisse et verticale de Barbara Hepworth (Single Form (BH 102), 1937) et à une autre en spirale d’Étienne Béothy (Rythmes entrecroisés, 1937).

Mais par-delà ces nombreux liens, ces correspondances formelles tantôt inscriptes dans le réel parfois le plus usuel – à travers leur pouvoir d’évocation de savoirs archéologiques, technologiques ou scientifiques –, tantôt portées par des élans intimes et/ou spirituels, se joue une part de l’histoire de la modernité. Car si la persistance de ces formes simples semble être continue dans des domaines non artistiques, celles-ci se sont curieusement éclipsées assez tôt de l’art occidental jusqu’à leur retour vers la fin du XIXe siècle, avant que les avant-gardes et leurs suiveurs ne s’en emparent avec une certaine avidité. Édifiante est à cet égard une salle regroupant des objets modélisés afin de répondre à des recherches mathématiques, dont certains ont été purement et « simplement » photographiés par Man Ray (Objet mathématique ; Section d’hélicoïde développable et Expression modulaire d’une fonction elliptique, 1934-1936), tandis que d’autres entrent en relation évidente avec la sculpture de Max Bill (Ruban sans fin, 1960-1961) ou d’Antoine Pevsner (Projection dynamique au 30° degré, 1950-1951), par exemple.

À explorer ainsi les images de la Lune – peut-être la forme simple par excellence ? – à travers le magistral cycle vidéo sur onze téléviseurs qu’en donne à voir Nam June Paik (Moon is the oldest TV, 1965-1992) ; de la nature et du biomorphisme grâce à des lithographies végétales d’Ellsworth Kelly ou des sculptures de Jean Arp (Coquille formée par une main humaine, 1935 ; Grand Bâtard, 1960) ; ou de la fécondité comme avec des dessins tantriques, ce sont finalement des zones d’où rayonnent des formes de sensibilité qui semblent offertes à la contemplation. Contemplation car, face à nombre de ces œuvres, en dépit de la surface lisse qui est souvent la leur, le regard ne glisse pas mais tend au contraire à s’inscrire dans la durée.

FORMES SIMPLES

Commissaire : Jean de Loisy
Nombre d’artistes : 72
Nombre d’œuvres : environ 200

FORMES SIMPLES

Jusqu’au 5 novembre, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz, tél. 03 87 15 39 39, centre-pompidou-metz.fr. Catalogue, coéd. Centre Pompidou-Metz/Fondation d’entreprise Hermès, 296 p., 39 €.

Légende photo
Jean Arp, Coquille formée par une main humaine, 1935, plâtre, 19 x 35 x 25 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN/Adam Rzepka.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Attention sensible !

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