Adieu Keïta

Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2001 - 604 mots

Après la mort de Seydou Keïta, André Magnin, son biographe, retrace sa rencontre avec le photographe.

PARIS - En 1991, une exposition à New York, mêlant Art “traditionnel” et contemporain, présenta quelques photographies provenant de différents pays d’Afrique noire. Parmi celles-ci, je découvrais des portraits exceptionnels d’un photographe anonyme originaire de Bamako, au Mali. Souvent, dans l’art africain traditionnel, les œuvres étaient conçues dans un souci communautaire et la part individuelle n’était pas revendiquée. Aussi, je ne fus pas surpris de l’absence de crédits pour ces clichés d’époque, datés entre 1952 et 1955. Mais, il m’a semblé impossible qu’un photographe de studio, exerçant dans les années 1950 dans une ville peuplée alors d’environ 100 000 habitants, ait pu être ainsi oublié.

Ces portraits m’incitèrent à faire un travail d’investigation au Mali. Dans cette région du monde où l’information se transmet souvent de bouche à oreille, le “radio-trottoir” me guida dans le quartier de Bagadadji chez Malik Sidibé qui était occupé, comme à son habitude, à réparer des appareils photographiques devant son studio, lieu de rendez-vous et d’échanges. Sans hésitation, il identifia l’auteur des images que je lui montrais : “je le connais, c’est notre aîné, le vieux Keïta. Il vit dans sa parcelle à Bamako-Coura, face à la prison centrale...”

Keïta me reçut pour la première fois dans sa parcelle où vivent plusieurs générations de la grande famille Keïta. Il était élégamment vêtu d’un grand boubou bleu et coiffé d’une chéchia. Il se tenait dans une pièce occupée par deux chaises et une grosse malle cadenassée. Il me fixa longuement, en silence, il se remémora l’époque où il exerçait encore ce métier qu’il avait tant aimé : “Vous voyez, il y a longtemps que j’ai fini avec ça, mais vous pouvez le voir, j’ai tellement aimé la photographie, toutes mes archives sont ici, dans cette malle.”

Seydou Keïta, l’aîné d’une famille de cinq enfants, est né vers 1921 à Bamako. C’est un autodidacte de la technique photographique. En 1935, son oncle, de retour d’un séjour au Sénégal, lui offre son premier appareil photo, un Kodak Brownie Flash. Artisan-photographe, il se spécialise dans l’art du portrait qu’il réalise sur commande, en lumière naturelle et en noir et blanc, avec une chambre 13 x 18. Ce format lui permet de fournir des tirages par contact de grande qualité optique sans avoir recours à l’agrandisseur. Il ouvre son atelier en 1948 à Bamako dans la parcelle familiale. Très vite, les photographies de Seydou Keïta connaissent un grand succès. Son exigence professionnelle et esthétique l’imposent comme le portraitiste très apprécié des habitants de Bamako, puis du Mali et de certains pays voisins comme la Guinée. De 1949 à 1977, date à laquelle il cesse son activité, Seydou Keïta photographiera le Tout-Bamako.

Dès 1993, des expositions lui sont consacrées en France. C’est en 1994, dans le cadre du Mois de la Photo à Paris, que j’ai organisé à la Fondation Cartier pour l’art contemporain sa première grande exposition personnelle. La même année, il fut au centre des premières Rencontres de la photographie africaine à Bamako.

Seydou, très fatigué, a voulu faire un ultime voyage chez son frère Lancina, à Paris, où il est décédé d’une longue maladie le 21 novembre à 10 heures du matin. Le Mali et l’Afrique tout entière viennent de perdre le plus célèbre des photographes africains. Récemment à Bamako, je lui demandais s’il y avait une photo qu’il aimait par-dessus tout ? Seydou Keïta ne pouvait pas choisir et me dit qu’il les aimait toutes, mais que s’il devait absolument en garder une, ce serait son portrait avec sa première épouse qu’il avait tant aimée...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Adieu Keïta

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