Restitutions

Restitutions : grands principes et petits compromis

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 2023 - 633 mots

La correspondante du Journal des Arts à Londres nous le confirme : le front des opposants au retour des frises du Parthénon s’effrite désormais de manière accélérée.

Gell Sir William (1774-1836), Dépose des sculptures du fronton du Parthénon par Lord Elgin, 1801, aquarelle sur papier vergé, 20 x 31 cm, musée Banaki. Domaine public
Gell Sir William (1774-1836), Dépose des sculptures du fronton du Parthénon par Lord Elgin, 1801, aquarelle sur papier vergé, 20 x 31 cm, musée Banaki.
© Gell Sir William

Si les travaillistes gagnaient les prochaines élections législatives, l’affaire serait entendue, et même dans les rangs conservateurs l’idée s’installe que le dossier n’est plus guère plaidable.

Il ne fait pas de doute que si cette longue affaire – lancée sous sa forme la plus politique par Melina Mercouri il y a maintenant quarante ans – aboutissait à ce résultat, elle adosserait plus fermement que jamais les demandes similaires. À supposer, cependant, qu’elles soient, en effet, similaires. Car la question de la restitution des œuvres d’art conservées dans les musées est vieille comme les musées, ce qui n’en facilite pas l’élucidation. En 1796, Quatremère de Quincy, théoricien de l’art, suffisamment sympathisant du mouvement révolutionnaire pour avoir présidé à la transformation de l’église Sainte-Geneviève en Panthéon, mais suffisamment partisan d’un royalisme modéré pour mener campagne contre le pillage des œuvres d’art italiennes par les troupes, tout aussi révolutionnaires, du jeune Napoléon Bonaparte, avait pu développer une argumentation radicale suivant laquelle les œuvres en question n’avaient de sens que si l’on prenait en compte des « sites » des « montagnes », des « carrières » qui les avaient rendues possibles, et, au-delà, « les positions respectives », « des rapports géographiques, des relations de tous les objets entre eux, des souvenirs, des traditions locales, des usages encore existants » : on demeure aujourd’hui stupéfait de la modernité de tels propos qui, s’ils étaient pris au pied de la lettre, ruineraient tous les musées d’art et d’histoire antérieurs à notre ère postmoderne, laquelle dispose de l’argument suprême qui lui permet de sauver la mise : l’« art contemporain » qu’elle promeut dans des temples ad hoc est désormais préconçu pour sa muséification.

Aujourd’hui c’est une autre idéologie radicale, symétrique à gauche de l’idéologie quincyenne, qui plaide pour la restitution, juste retour des choses après l’arbitraire colonial. Le problème auquel elle se trouve confrontée s’éclaire par cette convergence entre ses arguments et ceux du royaliste de 1796. Car pourquoi refuser de voir que, dans les pays qui ont connu une nette rupture – la France en premier lieu, les pays anciennement communistes en second –, les collections de nombre de musées – comme, au reste, de bibliothèques et d’archives – sont remplies d’objets d’art et d’œuvres d’art arrachés à leurs propriétaires, ici nobles émigrés ou « Russes blancs », là institutions religieuses ?

La réponse à cette thèse ne manquera pas de faire référence aux conditions de ces mises sous séquestre et, en effet, le système de défense du British Museum, à Londres, s’est fracassé sur les conditions dans lesquelles Lord Elgin avait fait main basse sur les frises du Parthénon. Notons cependant, à ce stade, que le fond de la thèse grecque – et, par là, de plusieurs partisans de la restitution – est tout autant national, voire nationaliste (c’est très clair pour la Grèce) que progressiste. Notons aussi que les conditions des saisies coloniales sont analogues à celles des saisies de la Révolution française ou de la révolution d’Octobre : c’est affaire non de principe mais de rapport de forces. En quelque sorte, la prise de la Bastille justifie les séquestres à la française, et la chute du mur de Berlin, la restitution à la russe.

On se méfiera donc des grands principes et on fera plutôt confiance aux petits compromis, tout aussi politiques, qui se traduiront par quelques restitutions symboliques, complétées par un recours plus ou moins systématique aux copies – vieux rêve des théoriciens de l’art « avancés » aux débuts de la IIIe République. Pendant ce temps-là, que l’on se rassure : l’Histoire « avec sa grande hache » continuera de détruire à tout-va. Car si le pillage et le séquestre sont des violences, le fanatisme et la guerre civile les surpassent de beaucoup.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Restitutions : grands principes et petits compromis

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