Royaume-Uni - Restitutions

L’opinion britannique en faveur d’un retour des marbres du Parthénon

LONDRES / ROYAUME-UNI

Seul le gouvernement, en décalage avec le point de vue de la population comme du monde culturel, s’obstine à invoquer la loi pour conserver les sculptures à Londres.

Frise du Parthenon exposée au British Museum. © Txllxt TxllxT, 2010, CC BY-SA 4.0
Frise du Parthenon exposée au British Museum.
© Txllxt, 2010

Londres. La polémique autour de la visite du Premier ministre grec au Royaume-Uni en novembre dernier aura clarifié une chose : les Britanniques sont prêts à retourner les marbres du Parthénon à la Grèce. En refusant de rencontrer son homologue grec pour éviter le sujet, Rishi Sunak a généré l’incompréhension. En revanche, Keir Starmer, le leader de l’opposition, a laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à un accord sur la question entre le British Museum et Athènes.

Quelques jours plus tôt, un sondage réalisé par l’institut Yougov commandé par le Parthenon Project, qui milite en faveur d’une solution « gagnante des deux côtés », confirmait cette tendance au sein de l’opinion. 49 % des Britanniques sont d’accord avec une restitution contre 15 % qui s’y opposent, un quart de la population n’ayant pas d’opinion sur le sujet.

« Au cours des vingt-cinq dernières années, la défense du maintien [au Royaume-Uni] des marbres au British Museum a été la position d’une très petite élite culturelle et politique sans aucun lien avec la réalité quotidienne de la population », estime Roger Michel, directeur exécutif de l’Institute for Digital Archeology, qui utilise des techniques d’imagerie numérique en archéologie et pour la conservation des musées. En janvier 2022, ce partisan d’un retour des sculptures a même proposé de réaliser des copies de haute qualité pour remplacer celles détenues par le musée londonien et les renvoyer à la Grèce.

Un musée pas si protecteur

Longtemps utilisé pour défendre la présence des sculptures dans le British Museum, l’argument de la protection des œuvres ne tient plus.« Dans la première partie du XXe siècle, ces sculptures ont été mal conservées et des fragments ont été abîmés », rappelle Evangelos Kyriakidis, le directeur d’Heritage Management Organization, spécialisée dans la gestion du patrimoine culturel. À cela s’ajoutent les 2 000 vols qui ont eu lieu au musée révélés au mois d’août, de même que les problèmes d’humidité du bâtiment. Inlassablement, c’est la question légale qui revient toujours comme l’argument ultime : une loi de 1963 interdit au British Museum de céder une partie de sa collection.

Mais le vent commence à tourner avec la nomination de George Osborne à la tête du British Museum en 2021. En juin de l’année suivante, le président évoque pour la première fois la possibilité d’un accord pour partager ces marbres avec la Grèce. L’idée d’un prêt ou d’un dépôt à long terme permettrait de ne pas avoir à changer la loi et de contourner la question de la propriété, même si cela reste problématique pour certains spécialistes grecs.

En parallèle au Royaume-Uni, l’idée du principe de restitution fait son chemin alors que la « décolonisation » des institutions entraîne une réflexion au sein des musées. En novembre 2022, six objets comprenant deux bronzes de Benin sont retournés par l’Horniman Museum au Nigeria. La même année, le V & A conclut un partenariat culturel avec le Musée archéologique d’Istanbul pour réunir la tête d’Éros et le sarcophage de Sidamara. Et le conseil consultatif du Parthenon Project est lancé pour promouvoir un partenariat d’échange entre la Grèce et le Royaume-Uni.

Cet enthousiasme en faveur d’un retour se traduit par la multiplication de tribunes rédigées en ce sens. L’éditorialiste du Guardian Simon Jenkins estime que, de toute façon, il y a trop d’objets au British Museum (plus de 8 millions !). « Quiconque a visité Athènes sait que les marbres devraient s’y trouver »,écrit de son côté dans le Times l’éditorialiste James Marriott. Même le très à droite David Frost, ancien « M. Brexit » de Boris Johnson, s’aligne. « Je pense que les marbres du Parthénon constituent une situation spéciale à laquelle nous devrions trouver une solution spéciale », écrit-il en janvier 2023 dans The Telegraph, un journal tout aussi à droite.

Au final, seule la réaction de Rishi Sunak semble décalée. Le Premier ministre, au plus bas dans les sondages, essaie-t-il de se poser en défenseur de l’identité britannique et de la gloire passée de l’Empire ? Mais qui est encore attaché à l’idée de maintenir ces œuvres au British Museum ? Parmi les électeurs conservateurs, seuls 25 % des répondants au sondage Yougov considèrent que les sculptures devraient rester en Angleterre, contre 39 % qui estiment qu’elles devraient être restituées.

Un lobbyiste grec à la manœuvre en Grande-Bretagne  


Influence. John (Giannis) Lefas, un industriel grec de la plasturgie, milite pour le retour des sculptures depuis 2019. Son action au Royaume-Uni s’organise avec la création du conseil consultatif du Parthenon Project en octobre 2022. Pour convaincre les députés britanniques de se rallier à sa cause, il n’hésite pas à leur faire visiter le Musée de l’Acropole à Athènes. C’est d’ailleurs après ce voyage qu’Ed Vaizey, secrétaire d’État à la culture sous le gouvernement conservateur de David Cameron, devient le président de l’association.« L’objectif est de créer un débat positif en mettant en avant une solution gagnant-gagnant auprès des médias, du public et des politiciens », reconnaît Josh Lambkin, porte-parole du Parthenon Project au sein de Pagefield, l’entreprise de conseil sollicitée pour mener la campagne. Sondage après sondage, qu’il finance, le groupe s’emploie à souligner l’indifférence de la population à la présence des marbres dans le pays.Comme dans la proposition de George Osborne, le président du British Museum, l’idée du lobbyiste ne requiert pas de changer la loi et permet de contourner la question de la propriété, l’objet de discorde entre la Grèce et le Royaume-Uni. Mais alors que George Osborne ne semble prêt à renvoyer qu’une partie des œuvres, le Parthenon Project milite pour un retour de l’intégralité des marbres. « Ce partenariat impliquerait en contrepartie l’envoi [par la Grèce, NDLR] de chefs-d’œuvre jamais vus à Londres, comme le masque dit “d’Agamemnon”. » Les sondages financés par le groupe abondent en ce sens : 53 % des répondants indiquent qu’ils seraient intéressés par de nouveaux objets de la Grèce antique exposés au British Museum.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : L’opinion britannique en faveur d’un retour des marbres du Parthénon

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