Procès des « cols rouges », Maître Caudron « n’était pas très regardant »

Par Éléonore Thery · lejournaldesarts.fr

Le 30 mars 2016 - 875 mots

PARIS [30.03.16] - Personnage clé du procès des « cols rouges », le commissaire-priseur Eric Caudron a été entendu par le tribunal, après avoir été régulièrement cité, dès les écoutes judiciaires et tout au long de l’audience.

Avant même qu’Eric Caudron ne soit entendu par le tribunal, son nom avait abondamment été prononcé dans le cadre du procès des « cols rouges ». Mis en examen des chefs de recels de vols en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de la commission de plusieurs crimes, le commissaire-priseur apparaît dès les écoutes téléphoniques ordonnées à l’automne 2009 avant que l’affaire n’éclate publiquement. Il y est désigné comme « le patron » ou encore celui qui « venait flatter » les commissionnaires pour obtenir des lots afin de remplir ses ventes. La particularité de cette corporation est en effet de pouvoir exercer des activités de commerçants et de courtier en sus de leur rôle de manutentionnaire à Drouot. L’ordonnance de renvoi évoque quant à elle des « déclarations de plusieurs commissionnaires estimant qu’il n’était pas regardant et qu’il avait besoin de marchandises pour faire tourner son étude. »

Dès la première affaire entendue devant le tribunal le 16 mars, son nom apparaît. Son étude a en effet revendu en octobre 2009 deux meubles « récupérés » lors d’un enlèvement par un trio de « cols rouges ». Lesquels meubles mis à prix 50 et 200 euros avaient été adjugés 1 million d’euros à eux deux lors de cette vente courante. Après une bataille entre deux enchérisseurs, ils avaient été cédés à la galerie Vallois, manifestement l'une des rares à avoir su déceler la signature d’Eileen Gray. Pour le commissaire-priseur, les « objets paraissaient tellement anodins, (…) on était dans l’ordre de la récup’ ». « La seule personne à avoir identifié ces meubles est l’acheteur, la galerie Vallois. Pour ces deux objets il n’y a pas eu d’expertise » martèle aujourd’hui son avocat Maître Sorin Margulis, présent tout comme son client à la quasi-totalité de l’audience.

Plus tard, le tribunal aborde la vente de quelque 80 bijoux proposés par un « col rouge » dans une vacation cataloguée d’Eric Caudron de 2006. « Cela ne faisait pas beaucoup de lots pour des commissionnaires ? » interroge la présidente. « Le commissionnaire m’a dit que cela faisait des années qu’il les accumulait. Il voulait le regard d’un expert, une vente cataloguée » répond le commissaire-priseur. La juge insiste, ne manquant pas de remarquer que ladite vente n’intervient qu’à quelques semaines d’écart avec celle des meubles d’Eileen Gray. « Cela ne fait-il pas deux ventes peu éloignées avec des sommes non négligeables ? » reprend-elle. « La proximité temporelle est une coïncidence » glisse le commissaire-priseur. Pour ces bijoux « N’auriez-vous pu demander des bordereaux d’achats ? » questionne l’une des assesseurs. « Je n’y ai pas pensé sur le coup. Ce qui m’a rassuré c’est la demande d’un catalogue. Si les objets étaient frauduleux, [les commissionnaires] auraient eu un autre comportement. J’y suis allé avec grande confiance » répond à nouveau Maître Caudron sans ciller.

Les questions sur cette affaire closes, c’est au tour du commissaire-priseur d’être entendu à la barre. Il y raconte comment il a changé de trajectoire professionnelle, repris des études pour devenir commissaire-priseur, puis narre ses premières ventes en 2003. « La vie me sourit » commente-t-il. Maître Caudron fait alors ses armes dans la profession, notant lors d’une vente durant laquelle il avait failli passer à côté d’une pièce d’Emile Gallé : « Là je suis vacciné. Là je me suis dit, il ne faut rien louper. » Des échos positifs lui ayant été rapportés, il commence à proposer à la vente des lots amenés par les « cols rouges ». À leur sujet, il avait dit lors de ses dépositions que l’un « lui faisait peur, car il avait la réputation de faire des mauvais coups à ceux qui allaient à son encontre », et confirme aujourd’hui qu’un autre lui « imposait ses objets à vendre ». « Il y avait des rapports de force mais pas une soumission » précise-t-il au tribunal. Interrogé sur la potentielle origine frauduleuse des meubles Eileen Gray, il indique deux éléments lui ayant inspiré confiance : « le vendeur n’a pas un comportement d’escroc », par ailleurs « étant donné le prix, s’il y a un problème, je vais vite le savoir ». Mais le temps passe et rien ne vient. « L’apothéose », indique-t-il, est un article du Figaro présentant en photo les meubles proposés dans la foulée à la Biennale des Antiquaires. A la présidente qui souhaite savoir s’il est au courant des pratiques de « récupération » d’objets de petite facture lors des enlèvements, le commissaire-priseur répond par la négative : « Récupération, ce n’est pas un terme. Je savais qu’il y avait du débarras ». Quant au volume des objets provenant de commissionnaires et mis en vente par ses soins – estimé à 7 % en 2009 et 15 % en 2008 – il est pour lui source de confiance. « La quantité me rassurait (…) si cela était frauduleux on l’aurait mis avec plus de parcimonie » précise-t-il. Et son avocat de clore la session en soulignant que son client n’avait pas eu de confessions des « cols rouges » sur l’origine des biens mis en vente, que la valeur importante ne faisait pas l’origine frauduleuse et qu’il arrive souvent que des prix importants soient réalisés en ventes courantes. La suite dira si son client a pêché par légèreté et excès de confiance ou profité d’un trafic en connaissance de cause.

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Une vente à Drouot en 2007 © photo AFP / Till Leeser / Bilderberg

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