Justice

L’affaire du Courbet, point de départ de l’affaire des « cols rouges »

Par Marie Potard · lejournaldesarts.fr

Le 30 mars 2016 - 753 mots

PARIS [30.03.16] – Le 16 février 2009, un renseignement anonyme informait l’OCBC qu’un commissionnaire détenait une œuvre de Gustave Courbet « dérobée » en 2003, lançant l’enquête préliminaire qui allait donner lieu au coup de filet de décembre 2009 à Drouot.

Le 4 octobre 1999, Luc Boré faisait l’acquisition d’un tableau intitulé Marine au ciel d’orage signé Courbet, chez l’OVV Dumousset-Deburaux. En janvier 2003, suite à son décès, il laissait pour seul héritier son neveu, Olivier Boré, qui déclarait au cours de l’enquête que son oncle « était un collectionneur d’art achetant beaucoup à Drouot lors de visites quotidiennes ». Fin 2003, l’OVV Beaussant-Lefèvre était mandaté pour effectuer l’inventaire des biens mobiliers du défunt, les commissionnaires ayant pour mission de « vider » l’appartement puis stocker les biens à Bagnolet en vue de l’inventaire officiel du commissaire-priseur.

Lors de l’enquête préliminaire, le neveu déclarait que « l’appartement regorgeait de toiles notamment dans une petite pièce - sorte de réserve - située entre la chambre et le bureau : environ 150 tableaux, des porcelaines, des lingots d’or… mais aussi un Picasso, qui n’a jamais été retrouvé et le Courbet en question. Mais les objets de cette réserve n’ont pas été listés immédiatement ». Il concluait : « beaucoup d’objets ne sont pas venus à la vente. Ils ont dû être détournés avant même que l’inventaire complet et définitif ne soit établi ». Une photographie du tableau en question lui était présentée : « je reconnais cette œuvre comme appartenant à mon oncle et elle lui appartient toujours puisqu’il ne l’a jamais vendue ». C’est à la suite de perquisitions menées à la fois au garde-meubles des commissionnaires à Bagnolet et à leurs domiciles respectifs que les enquêteurs vont découvrir le Courbet chez le commissionnaire désigné par le renseignement anonyme. L’œuvre fera ensuite l’objet d’une restitution, quasiment la seule de toute l’affaire.

Courant 2009, les enquêteurs ont entendu Jean-Jacques Fernier, expert et conservateur du Musée Gustave Courbet, qui indiquait avoir bien reçu une demande d’expertise en juin 2007 de la part d’une jeune femme, qui va par la suite s’avérer être la compagne du commissionnaire à l’époque des faits. L’expert a authentifié l’œuvre comme « Courbet et collaboration », précisant qu’elle figurait dans le catalogue raisonné de l’artiste et qu’elle lui avait déjà été soumise en 1998.

Mardi 30 mars, le tribunal a longuement interrogé le commissionnaire dénoncé qui a adopté une technique de défense bien confuse : « lors de la vente de 1999, j’étais le magasinier à Drouot. Le tableau a été adjugé 52 000 francs [soit 8 000 euros en valeur réactualisée, est. 40 000 à 60 000 francs] mais personne n’est venu le chercher ! Il est resté 6 à 8 mois dans le magasin jusqu’à ce que le magasinier du 3e sous-sol me demande de le "débarrasser". J’ai laissé le tableau au fond d’une penderie pendant 5 ans. Je n’étais pas dans l’appartement lors de l’enlèvement en 2003 ».

« Pourquoi l’acquéreur n’a pas pris le tableau » questionne la présidente ? « Cela arrivait plus souvent que vous ne le pensez ».

Le « col rouge » a précisé ensuite que l’OVV Dumousset-Deburaux avait fait appel à un transporteur extérieur (et non à l’UCHV), qui devait effectuer le « retour étude ». Lors de sa déposition en garde à vue, le commissionnaire raconte : « je me suis rendu compte que le transporteur était ivre alors j’ai volé ce tableau avec la suite que vous connaissez ». Comme la très grande majorité de ses collègues entendus devant le tribunal, le prévenu est revenu sur ses déclarations de l’époque : « le transporteur extérieur devait ramener ce tableau à l’étude mais il l’a oublié car il était dans un carton. Ne le voyant pas revenir, j’ai gardé le tableau. J’aurais été moins stupide, j’aurais averti le commissaire-priseur ». Toujours est-il que le prévenu a informé le tribunal qu’il a montré le tableau à sa compagne : « j’ai cette croûte, très sombre, je ne l’ai jamais accrochée à la maison ». Elle a fait voir le tableau, notamment à un galeriste, « qui l’a trouvé de facture très moyenne » a indiqué le commissionnaire. « Il existe au moins 20 vagues de Courbet, ce n’était pas une œuvre unique, d’autant plus qu’elle a été réalisée par l’atelier de l’artiste ». A ces mots, la présidente tempête : « mais vous ne nous apprenez rien, cette pratique remonte à renaissance ! ».

Sans transition aucune, le tribunal questionne le prévenu sur une autre affaire, celle du mime Marceau, puis enchaîne avec d’autres faits.

Quid du neveu qui prétend avoir formellement reconnu le tableau comme celui appartenant à son oncle et figurant chez lui ? Nous n’en saurons pas plus.

Légende photo

Gustave Courbet, Marine au ciel d'orage, 1869, huile sur toile, 33 x 46 cm. Source artnet

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