Histoire de l'art

La Commune, un printemps stérile pour les artistes

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2021 - 1094 mots

PARIS

Au moment de la Commune de Paris, nombre d’ artistes avaient fui la ville. Si d’autres assistèrent et même participèrent aux événements, peu d’œuvres ont été créées dans la capitale durant cette période

Edouard Manet, La Barricade (détail), 1871, lithographie, 46 x 33 cm, Rosenwald Collection. © National Gallery of Art, Washintgon.
Edouard Manet, La Barricade (détail), 1871, lithographie, 46 x 33 cm, Rosenwald Collection.
© National Gallery of Art, Washintgon.

Paris. L’un des personnages emblématiques de la Commune de Paris (du 18 mars au 28 mai 1871) est le peintre Gustave Courbet. Celui-ci était devenu président de la surveillance générale à la Commission artistique pour la sauvegarde des Musées nationaux (dite aussi Commission des artistes), fondée le 6 septembre 1870 pour protéger les musées et les monuments de Paris pendant le siège qui commençait. Il l’était toujours le 13 avril 1871 lorsque fut mise en place la Fédération des artistes dont il devint le président. Le 14 août 1871, devant le Conseil de guerre, le peintre expliqua comment il avait continuellement cherché à protéger musées et œuvres d’art, y compris les bas-reliefs de la colonne Vendôme. Si Gustave Courbet était socialiste, la plupart des artistes présents à Paris au début de la Commune étaient simplement républicains. Comme en 1848, ils attendaient du nouveau régime l’indépendance des arts vis-à-vis des instances étatiques. C’est ce qui explique qu’ils furent plusieurs centaines (en comptant aussi les artisans d’art) à assister à la naissance de la Fédération des artistes. L’enthousiasme les poussa même à élire des confrères au comité de cette fédération à leur insu, comme, par exemple, Honoré Daumier, absent de Paris pendant la Commune, et Félix Bracquemond. Confiants, ils pensaient continuer de préparer un Salon de 1871 qui n’eut jamais lieu.

Départs en cascade
Beaucoup d’autres avaient tourné le dos à Paris lors des événements précédents. Dans son livre La Commune de Paris, révolution sans images ? (Champ Vallon, 2004) et dans un chapitre du catalogue de l’exposition « Les Impressionnistes à Londres » (Paris-Musées, 2017), Bertrand Tillier recense quatre vagues de départs. Dès la déclaration de guerre à la Prusse, le 19 juillet 1870, Jean-François Millet et Paul Cézanne quittent les lieux. Alors que le siège de Paris a commencé le 19 septembre 1870, Camille Pissarro s’enfuit de Louveciennes. Lorsque l’armistice est signé, le 28 janvier 1871, Édouard Manet, Edgar Degas et Ernest Meissonier partent à leur tour. Enfin, au début de la Commune, Camille Corot rejoint le Nord de la France et Gustave Doré, Versailles. Pierre Puvis de Chavannes, qui a servi dans la Garde nationale pendant le siège, quitte la ville dès la fin de celui-ci. Charles Daubigny émigre à Londres après l’invasion prussienne de juillet 1870 et Claude Monet l’y rejoint début décembre. À ce moment, Eugène Boudin qui s’était réfugié au Havre à la déclaration de guerre retrouve à Bruxelles Narcisse Diaz, Carolus-Duran, Zacharie Astruc et Jean-François Raffaëlli. 

Henri Fantin-Latour, raconte Bertrand Tillier, est resté « retranché dans une cave avec son père toute la période du siège et de la Commune » qu’il qualifia d’« ignoble folie ridicule » et Gustave Moreau, qui s’était engagé en août 1870 dans la Garde nationale qu’il abandonna en fin d’année, s’est isolé dans son atelier avec sa mère. Quant à Auguste Renoir, il revient à Paris au début de la Commune : il « craignait seulement d’être pris pour un communard, alors même qu’il considérait les fédérés comme fanatiques et stupides. »

Dans la capitale, outre Gustave Courbet, sont restés Jules Dalou, Amand Gautier, André Gill et Auguste Lançon, élus actifs au Comité de la Fédération et trois photographes de renom : Eugène Disdéri, Nadar (Félix Tournachon) et Étienne Carjat. Bertrand Tillier note que le premier ne produisit d’images de la Commune que lors de son épilogue, la Semaine sanglante ; le second, « sympathisant de la Commune », ne travailla pas de toute la période et le troisième « soutint activement la Commune [...], mais ne photographia pas les événements ». On dispose heureusement de clichés d’Hippolyte Blancard, Eugène Fabius ou Bruno Braquehais. 

D’Édouard Manet et Edgar Degas, gardes nationaux pendant tout le siège, ayant quitté Paris à l’armistice et revenus au moment de la Semaine sanglante, l’auteur dit qu’ils « ne savaient, ni l’un ni l’autre, comment se positionner face à cet événement, envers lequel ils furent tantôt hostiles, tantôt compatissants ». Enfin, il indique que « les artistes restés dans la Garde nationale jusqu’à la fin de la Commune [...] peuvent être considérés comme de fervents communards [...], tels le sculpteur Hippolyte Moulin ou les peintres James Tissot, Édouard Moulinet et Paul Milliet. » D’après une lettre conservée dans la collection Frédéric Mantion, James Tissot assurait un service d’ambulance – un engagement sur le front qui explique qu’il se soit enfui à Londres après la Semaine sanglante.

L’impossible figuration
Malgré la présence d’un certain nombre d’artistes sur le terrain, peu d’œuvres furent réalisées au moment même de la Commune. Brève et intense, la période ne s’y prêtait sans doute pas. Ensuite, la IIIe République a découragé les ambitions de représenter les événements. On sait qu’Édouard Manet et Edgar Degas rôdaient lors de la Semaine sanglante pour voir ce qu’il se passait. Le cas de Manet est intéressant, car il a tiré deux lithographies de cette terrible expérience. Guerre civile est dérivé de son tableau des années 1860, L’Homme mort, tandis que La Barricade [voir ill.] reprend son Exécution de Maximilien de la même époque, à tel point que le lavis préparatoire se trouve au verso d’un croquis d’après le tableau. C’est comme s’il n’avait pu rendre compte de l’horreur qu’en se coulant dans une forme déjà éprouvée. 

La plupart des œuvres qui nous servent encore à illustrer la Commune ont été réalisées par des artistes qui n’étaient pas là. C’est le cas de Monseigneur Darboy dans sa prison (1871) par Jean-Baptiste Carpeaux, qui avait quitté Paris à la fin du siège et était hostile à la Commune. Le communard Amand Gautier a peint Un défilé pendant la Commune à la prison de Mazas en août 1871 et donc après les faits. De même, Courbet ne s’est remis à peindre qu’en prison. En revanche, Alfred Roll qui a peint L’Exécution d’un trompette sous la Commune (1871) était sans doute à Paris pendant la Commune, sans prendre parti pour les Versaillais ou les insurgés. On sait qu’il a servi dans la Garde mobile nationale et a été envoyé au front et qu’il passa les journées du siège de Paris à Saint-Denis. 

De même, les illustrateurs ont été plus productifs. Daniel Vierge est l’auteur de nombreux dessins pris sur le vif et, parmi les caricaturistes engagés dans le mouvement, Pilotell a tiré d’un dessin réalisé le 24 mai 1871 une gravure postérieure montrant Raoul Rigault mort, tandis qu’André Gill a dessiné des épisodes de la Commune (Montmartre, 18 mars 1871 ou Salle des morts, 4 avril) sans jamais en tirer de gravures. 

Pilotell, Raoult Rigault, 24 mai 1871, eau-forte, 25 x 36 cm. © Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
Pilotell, Raoult Rigault, 24 mai 1871, eau-forte, 25 x 36 cm.
© Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°564 du 2 avril 2021, avec le titre suivant : La Commune, un printemps stérile pour les artistes

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