Urbanisme

Ajaccio entrouvre sa citadelle

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 4 mai 2021 - 1200 mots

AJACCIO

Acquise en 2019, la citadelle Miollis ouvre dès cet été au public qui pourra ainsi assister à la transformation progressive des lieux. L’agence Manifesto pilote le programme « d’activation ».

La Citadelle Ajaccio. © Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien (CAPA) / Citadelle d’Ajaccio
La Citadelle d'Ajaccio.
© Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien (CAPA) / Citadelle d’Ajaccio

Ajaccio. C’était l’une des dernières citadelles de Corse encore fermées au public. Cédée à la Ville en 2019, la citadelle Miollis sera partiellement ouverte à partir de cet été, dans un programme d’urbanisme transitionnel inédit par son ampleur. « Nous ne voulions pas confier le tout à un opérateur unique qui aurait livré, après 10 ans de travaux et donc de fermeture au public, un ensemble (trop) abouti », explique Sophie Boyer de la Giroday, directrice de la société d’économie mixte SPL Ametarra qui aménage la citadelle pour le compte de la Ville. Celle-ci a préféré rendre le site accessible au plus vite et le reconvertir progressivement. D’autant que le maire « veut en faire un nouveau quartier de la ville », précise Simone Guerrini, son adjointe à la culture.

Une démarche pragmatique qui s’explique par l’ampleur et la complexité de la réhabilitation. Située à quelques pas du centre-ville, la forteresse a gardé toutes ses défenses militaires qui la protégeaient des attaques par la mer mais aussi par la terre. Il n’est donc pas facile de rendre poreux l’accès à un nouveau quartier quand celui-ci est entouré de douves et de murailles. À l’intérieur, si l’ancienne caserne militaire constituée de plusieurs bâtiments (surtout du XVIIIe siècle), de places et d’un chemin de ronde se prête assez bien à une déambulation piétonne, les normes de sécurité pour accueillir le public sont un obstacle aussi difficile à franchir que les remparts qui l’entoure.

L’ensemble ne manque pas de charme pour une ancienne caserne et l’on comprend que les Ajacciens aient envie de s’approprier un lieu qui les a nargués pendant cinq siècles. L’armée a officiellement rendu les clefs en juin dernier, mais la garnison était partie depuis 2005. Tout est resté en l’état : la signalétique sur les bâtiments, le salon de coiffure, les lavoirs extérieurs, les logements des gradés, la chapelle, la salle de sport et même la boîte de nuit démesurément grande par rapport aux autres locaux. Une campagne photographique en cours [voir plus bas le programme d’activation] va garder une trace de cette ambiance un peu surannée.

Un proto aménagement en site ouvert

Avant de trouver de nouveaux usages pour la dizaine de bâtiments circonscrits dans un espace de 2,5 hectares, il faut d’abord aménager les lieux. Un premier diagnostic archéologique a permis de prendre la mesure des fouilles à réaliser. Celles-ci seront effectuées en même temps que… tout le reste. Le reste, c’est dépolluer la terre sur 1,5 mètre, imprégnée de poudre et de métaux lourds des canons et boulets. Pour l’heure, l’option ensevelissement et fermeture au public d’une partie du site est privilégiée à l’enlèvement de la terre et de son transport prohibitif par bateau sur le continent – ce qui in fine ne fait que déplacer le problème. Le reste, c’est aussi consolider le chemin de ronde et faire un audit des bâtiments et des remparts. Contrainte : le site devra rester ouvert au public ce qui suppose d’adapter les plans de circulation au fil du temps. Dans cette phase de proto aménagement, la SPL est accompagnée du cabinet d’architecture Mutatis.

Le plus urgent est cependant la création d’une voie d’accès pour les camions (de pompier, de travaux…). L’entrée principale de la citadelle est en effet inaccessible – à moins d’aménagements disproportionnés – en raison des chicanes et bâtiments défensifs. Un tunnel va être construit à l’autre extrémité de la citadelle, donnant sur le port. Devrait suivre aussi la construction d’une passerelle piétonne dans le prolongement de la rue Bonaparte.

Tout cela devrait durer plus ou moins 5 ans, ce qui laisse le temps d’imaginer la suite, c’est-à-dire l’utilisation des bâtiments, la plupart inscrits, quand d’autres seront bientôt classés et certains détruits. Le principe est de donner à bail certains bâtiments à des opérateurs privés qui auront la charge de les restaurer, tandis que la Ville se réserve le droit d’en conserver quelques-uns. « Tout est envisageable », affirme Diane Lambruschini en charge du projet à la SPL, « on veut se laisser le temps d’étudier toutes les propositions ». Seule certitude, ce ne sera pas un quartier muséifié, ce sera un lieu de vie comme n’importe quel quartier de centre-ville avec sans doute un restaurant, un hôtel, des structures d’accueil pour des entreprises, peut-être des logements, un théâtre de verdure, une école de formation à la restauration du bâti ancien. À coup sûr aussi, un mémorial consacré à Fred Scamaroni, ce résistant corse arrêté par les militaires italiens en 1943, interné dans la citadelle et qui a préféré se suicider plutôt que de donner son réseau sous la torture. Un musée ? pas forcément. Il y a déjà le Musée Fesch [des beaux-arts] et dans quelques années un musée Napoléon dans une partie des locaux de la mairie.

Le coût de cette première phase est d’environ 15 M€, financés à 80 % par l’État dans le cadre du plan de transformation et d’investissement pour la Corse (PTIC), doté de 500 M€. En mars dernier, l’État et la Ville ont signé un contrat de 170 M€ en faveur de huit projets importants du pays ajaccien dont l’aménagement de la citadelle. « C’est un projet considérable pour la ville », souligne Franck Leandri, le directeur régional des affaires culturelles de la Corse, « mais en même temps, la Ville le mène avec beaucoup d’humilité », ajoute-t-il.

Il est vrai que les enjeux ne sont pas minces. Outre l’extension du centre-ville, handicapé par le port des ferrys, une verrue sur le front de mer, Ajaccio a besoin de développer son offre culturelle afin de retenir des touristes qui ne font souvent que passer. Dans cette optique, un équipement culturel fort dans la citadelle ne serait pas du luxe. Signe de l’importance des enjeux et de « l’humilité » de l’approche, les deux délibérations municipales sur la citadelle ont été approuvées par tous les élus municipaux, y compris les nationalistes. Une gageure au moment où le maire (Divers droite) d’Ajaccio, Laurent Marcangeli, tente de conquérir lors des prochaines élections régionales l’assemblée et l’exécutif de la collectivité de Corse. Cette collectivité unique en France qui regroupe la Région et les deux anciens départements est aujourd’hui dirigée par les nationalistes.

« L’activation » du lieu

Pour marquer l’ouverture du site cet été, la SPL a demandé à Manifesto de concevoir un programme « d’activation » – selon un terme de plus en plus à la mode. Laure Colliex, la directrice de l’agence a ainsi imaginé plusieurs dispositifs. Au centre de ceux-ci (et de la citadelle), le pavillon « B » abritera la Maison du projet, point d’entrée pour les visiteurs. En face, un bâtiment va accueillir un artiste en résidence (le choix sera fait le 10 mai prochain) qui va concevoir durant l’été une œuvre in situ symbolisant l’ouverture de la citadelle sur le centre-ville. L’œuvre devrait être terminée en septembre. Sur la grande place d’arme, seront disposés des panneaux exposant les photos issues de la commande confiée à la photographe Céline Clanet. Enfin un spectacle son et lumière en lien avec la citadelle et Napoléon, confié à une structure locale (Avenamenti Aiaccini) devrait apporter une touche festive. Si les conditions sanitaires le permettent.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°566 du 30 avril 2021, avec le titre suivant : Ajaccio entrouvre sa citadelle

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