Photographie

Chronique

Une mise au point s’impose

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2018 - 571 mots

Contrairement à leurs homologues étrangers, les musées français – et leur tutelle, le ministère de la Culture – gèrent de manière peu compréhensible les besoins des publics en images, qu’il s’agisse de la déferlante des visiteurs équipés de smartphones ou de la singularité des chercheurs. Il serait bienvenu que Françoise Nyssen clarifie les règles.

Des visiteurs photographiant <em>Le Portrait de jeune homme</em> de Rembrandt présenté à l'Ermitage d'Amsterdam - Photo Ludovic Sanejouand
Des visiteurs photographiant Le Portrait de jeune homme de Rembrandt présenté à l'Ermitage d'Amsterdam
© Ludovic Sanejouand

Pour les « accros » des smartphones ou tablettes, qui passent d’une œuvre à l’autre sans longtemps les regarder mais les capturent en un clic, la possession de l’image est devenue plus importante que l’image elle-même. Ces visiteurs ne se satisferont jamais d’images prises par d’autres, de cartes postales, ils veulent que les leurs attestent de leur présence dans le lieu-dit. Ils accumulent des moments exaltants de vie, qu’ils transmettront aussitôt à leurs « amis », via les réseaux sociaux. Très tôt, des musées étrangers ont compris que ces visiteurs et les « like » allaient accroître leur popularité, la familiarité à l’accès de leurs établissements. Refuser cette évolution sociétale, vouloir l’interdire, c’est se battre contre des moulins à vent. Et pourtant, de 2010 à 2015, les musées d’Orsay et de l’Orangerie ont interdit toute prise de photographie dans leurs salles. « Les visiteurs ne regardaient plus… et empêchaient les autres de voir »,écrivait, à l’époque, le président de ces établissements, partisan d’une mesure de salubrité contre ce qu’il qualifiait de « barbarie ». Le diagnostic était juste, mais le mot, méprisant et la réponse, erronée, déjà simplement du point de vue juridique puisque la majorité des œuvres accrochées étaient tombées dans le domaine public.

Voulant réagir à cette déferlante et à cet oukase, le ministère de la Culture s’est fendu, en 2015, d’une « charte des bonnes pratiques », toujours en vigueur. Mais celle-ci s’intitulant « Tous photographes ! », elle ne fait qu’encourager les consommateurs d’images, comme le clip chargé de sa promotion auprès de la jeunesse. Jamais il n’est écrit ou dit « prenez d’abord le temps de regarder l’œuvre, ensuite photographiez-la ».

L’enjeu de la recherche

Mission éducative défaillante également à l’égard des chercheurs. Tout thésard peut télécharger gratuitement des photographies haute définition des collections du British Museum, de la National Gallery de Londres, du Metropolitan Museum de New York et de bien d’autres institutions étrangères, mais pas celles des collections publiques françaises. « Nous sommes très heureux que vous puissiez télécharger des images et les utiliser gratuitement à condition que leur emploi réponde à ces critères… » Ainsi débute généralement le règlement d’usage de ces institutions qui parfois demandent une justification de la recherche, limitent la publication dans le temps et dans l’ampleur de la diffusion comme dans le format de reproduction, et qui peuvent aussi inciter à une donation. Les images de qualité des œuvres de ces musées sont donc devenues des outils pratiques et mondiaux de recherche, pas celles de la France qui s’obstine à les verrouiller.

Certes réaliser des images en haute définition a un coût et ne plus les vendre diminuera des recettes, mais l’enjeu de la recherche dépasse une gestion financière à courte vue. Du reste, certains musées sont en faveur de la levée de ce verrou. Mais, malgré la plus grande autonomie de gestion qui leur a été accordée, ils ne sont toujours pas décideurs sur ce chapitre. C’est la Réunion des musées nationaux (RMN) et son agence photographique qui réalise les prises de vue, définit les tarifs et perçoit les redevances. Rendons plus facile aux chercheurs du monde entier l’étudie des collections publiques françaises et essayons de mieux éduquer les jeunes visiteurs avides d’images.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°503 du 8 juin 2018, avec le titre suivant : Une mise au point s’impose

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