Société

Demain, j’arrête Facebook

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 30 avril 2018 - 513 mots

Réseaux Sociaux  - Qui n’a jamais été tenté de désactiver temporairement son compte Facebook, voire de le supprimer une fois pour toutes – opération du reste compliquée ? Qui n’a jamais dit, ou entendu dire : « C’est décidé, j’arrête » ? Depuis la création du réseau social en 2006, chacun a eu largement l’occasion d’en éprouver la fatigue.

Il y a d’abord le temps perdu à « scroller » de photo de chat en dévoilement de quelque conspiration : vous étiez venu faire un petit tour l’air de rien sur votre compte, vous y avez passé une heure, et ce, dix à quinze fois par jour. Pendant ce temps, vous avez « liké » la photo du chat, envié vos « amis », entamé un débat sur le complotisme sans autre résultat qu’une vaste foire d’empoigne, et oublié de parler à vos proches « IRL ». Depuis votre inscription, vous avez aussi moqué les conditions d’utilisation du réseau social, qui condamnent à la censure toute reproduction d’œuvre d’art non alignée sur le puritanisme américain – de L’Origine du mondeà la Vénus de Willendorf. Vous avez encore suspecté Facebook d’exploiter sans vergogne vos données personnelles et regardé d’un mauvais œil ses menées en matière d’intelligence artificielle ou de reconnaissance faciale. Et voilà qu’en mars dernier, vous avez vu confirmé dans la presse le rôle trouble que le réseau social a joué dans l’élection de Donald Trump : d’après le témoignage d’un ancien employé de Cambridge Analytica recueilli par le Times et le Guardian, un quiz posté sur le réseau social aurait permis à cette société britannique de collecter et d’exploiter à leur insu les données d’environ 90 millions d’utilisateurs pour mieux influencer leur vote. Cette « révélation » – qui n’en est pas vraiment une, vu les lourds soupçons qui pesaient déjà sur Facebook – a aussitôt pris l’ampleur d’un scandale aux effets multiples. Au plongeon immédiat de l’action en Bourse s’est associé un vaste appel au boycott. Disséminé avec les hashtags de rigueur (#deleteFacebook, #supprimezFacebook en français) et porté par des leaders d’opinion tels que Brian Acton, cofondateur de WhatsApp, le mot d’ordre s’est répandu comme une traînée de poudre… sur les réseaux sociaux ! Sous couvert de protester contre l’exploitation de leurs données, des millions d’internautes sont ainsi venus fournir aux géants du numérique les informations qu’ils leurs reprochaient justement de collecter ! Avec une ironie savoureuse, Thierry Fournier avait déjà mis ce paradoxe en évidence dans l’installation I Quit (2017). Dans une vidéo d’une trentaine de minutes projetée via un miroir de salle de bains, l’artiste français y présente une collecte sur YouTube de témoignages où de jeunes Américains justifient, non sans accents prosélytes, leur décision de quitter les réseaux sociaux. Derrière le catalogue des arguments habituellement déclinés en la circonstance (de l’addiction à l’exhibitionnisme, en passant par le matraquage publicitaire), perce dans I Quit quelque chose du rituel de réassurance et de la profession de foi. La décision, forcément difficile, courageuse et précaire, du sevrage numérique y tourne ainsi in fineà cette démonstration implacable : aujourd’hui, il est presque impossible d’envisager durablement et sérieusement de #supprimerFacebook, sauf à migrer vers quelque équivalent.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : Demain, j’arrête Facebook

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