Livre - Musée

DICTIONNAIRE

L’esperanto de la muséologie

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2023 - 737 mots

80 spécialistes de toute nationalité ont recensé des milliers de termes en rapport peu ou prou avec les musées, et en proposent une explication. Une entreprise périlleuse.

François Mairesse. © Markus Garscha
François Mairesse.
© Markus Garscha

Le Dictionnaire de muséologie qui vient de sortir est un ouvrage composite, critiquable mais précieux. Ces caractéristiques, en partie peu flatteuses, sont liées à sa généalogie. Le dictionnaire est un prolongement du Dictionnaire encyclopédique de muséologie paru chez Armand Colin en 2011 sous la direction d’André Desvallées et de François Mairesse. Ce dernier auteur est également aux commandes du nouvel ouvrage qui s’éloigne du précédent sur de nombreux points. Sa construction d’abord. Là où le Dictionnaire encyclopédique comporte 21 articles traités de manière approfondie suivis de 500 termes de muséologie, le nouveau Dictionnaire compte deux fois plus d’entrées ordonnées dans un seul ensemble. Il en résulte un premier déséquilibre entre petites et grandes notices. Plus gênant, la dimension internationale ouvre à une hétérogénéité de contenu. Les éditeurs, très liés au Conseil international des musées (Icom) dont le nom apparaît cette fois sur la couverture, ont voulu dépasser la dimension francophone du Dictionnaire encyclopédique et prendre en compte toutes les sensibilités internationales de la science muséale. L’intention est louable, car selon l’Icom la professionnalisation de la gestion des musées passe par un vocabulaire et des définitions communs. Un esperanto de la muséologie en quelque sorte. Mais alors que l’Icom a mis des années, après des débats enflammés, pour aboutir à une nouvelle définition de seulement quelques lignes du « musée », l’harmonisation d’un dictionnaire de 1 100 occurrences rédigées par 81 auteurs relève de l’exploit.

Dictionnaire de muséologie. © Icom / Armand Colin
Dictionnaire de muséologie.
© Icom / Armand Colin
Néologismes curieux, écueils liés à la traduction, partis pris…

De fait, l’harmonie ne règne pas, c’est même la cacophonie. La multiplication des notices a fait entrer dans le dictionnaire une foule de mots dont la pertinence interroge. On dénombre ainsi 73 occurrences du terme « musée » : de « musée à selfie » à « musée universitaire », en passant par « musée de société » ou « musée queer ». Plus gênante est l’arrivée massive de termes non spécifiques à la muséologie au motif qu’ils peuvent concerner les musées : « graphique », « coupole », « connotation » et même « groupe d’adultes ». À ce compte-là, la prochaine édition absorbera tout le Larousse. Elle le dépassera même en volume avec l’invention de nouveaux mots tels que « expôt » (concept qui désigne une unité élémentaire d’exposition) – que l’on avoue ne pas connaître. Du reste, l’auteur de l’article « Exposition » semble ne pas connaître non plus ce néologisme puisqu’il ne l’utilise à aucun moment. En revanche, il aurait été souhaitable qu’il y ait une entrée pour « Métavers », bien plus déterminant pour l’avenir que le curieux « Voyeurisme ». « NFT » et « Immersif » sont certes présents mais sans développement à la hauteur des enjeux.

Passons sur la traduction pas toujours précise et qui épouse trop littéralement le style d’origine. L’écriture narrative anglo-saxonne ou le style « fleuri » italien ne fait pas bon ménage avec la sobriété française ou allemande. Plus problématique est la disparité des contenus. Quand beaucoup d’auteurs exposent, avec plus ou moins d’objectivité, l’origine, la définition et les enjeux muséaux du mot, d’autres en profitent pour imposer des concepts nébuleux. Ainsi en est-il de l’entrée « Exhibition complex » (« complexe d’exposition »), un concept récent forgé par un sociologue britannique que l’auteur (britannique) de la notice défend complaisamment sur trois pages.

Ces péchés sont véniels à côté de certains partis pris idéologiques qui n’ont pas de place dans un dictionnaire par principe objectif. Ainsi le conservateur africain auteur de la notice sur les restitutions n’hésite pas à qualifier d’« acquisitions illégales » les « collections coloniales », tout en citant trois fois le président Macron. Que faut-il comprendre par « collection coloniale » ? À chacun de se faire son opinion car le dictionnaire n’a pas prévu d’entrée spécifique pour ce terme.

On comprend bien les difficultés d’une telle entreprise qui doit ménager 81 points de vue pas forcément identiques, surtout s’agissant d’enjeux sociétaux que les musées se doivent aujourd’hui de prendre en compte. On lira donc avec une relative confiance les notices techniques, riches en informations et en références bibliographiques, mais avec une distance critique les entrées relatives aux débats du moment (inclusion, restitution..). En ce sens, le Dictionnaire est une bonne photographie à un instant T de ces enjeux. Il serait d’ailleurs souhaitable que cet ouvrage soit disponible en ligne, et, comme les textes de loi sur le portail Légifrance, que les mises à jour des notices rendent visibles les versions successives. Mais alors on perdrait ce qui fait toute la valeur de l’édition papier : la sérendipité.

Dictionnaire de muséologie, François Mairesse (sous la direction de)
coéd. Icom / Armand Colin, 672 p., 47 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : L’esperanto de la muséologie

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