Collectionneurs - Histoire de l'art - Livre

Les collectionneurs, frères d’armes des impressionnistes

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 28 mai 2023 - 774 mots

La publication des actes d’un colloque sur le sujet montre que l’impressionnisme a bénéficié de l’implication des collectionneurs tout au long de son ascension.

Claude Monet, Le Port du Havre, 1874, huile sur toile, 60 x 101 cm. © Philadelphia Museum of Art
Claude Monet, Le Port du Havre, 1874, huile sur toile, 60 x 101 cm.
© Philadelphia Museum of Art

Sous la direction de Ségolène Le Men et Félicie Faizand de Maupeou, Collectionner l’impressionnisme réunit les contributions au colloque organisé en 2020 par la Fondation Université Paris Nanterre en partenariat avec le labex Les passés dans le présent, le laboratoire Histoire des arts et des représentations de l’université Paris-Nanterre et l’université de Rouen-Normandie. Il s’inscrit dans le programme de recherche international sur l’impressionnisme créé par les Régions Ile-de-France et Normandie dans le cadre du « Contrat Normandie-Paris Ile-de-France : destination impressionnisme » dont la spécificité est d’allier des intérêts universitaires et touristiques. L’ouvrage, très documenté et illustré, est parfaitement accessible au grand public qui peut y découvrir l’importance des collectionneurs dans le mouvement impressionniste. Les visiteurs des expositions « François Depeaux, l’homme aux 600 tableaux » (en 2020 à Rouen), et « Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur », actuellement présentée au Musée du Luxembourg à Paris, ont déjà pu mesurer l’aide apportée par ces deux grands amateurs rouennais à ce mouvement artistique.

Collectionner l'Impressionnisme, sous la direction de Ségolène Le Men et Félicie Faizand de Maupeou, éditions Silvana Editoriale
Collectionner l'Impressionnisme, sous la direction de Ségolène Le Men et Félicie Faizand de Maupeou, éditions Silvana Editoriale.

Le livre s’organise en trois grandes parties : l’étude de collectionneurs hexagonaux contemporains de l’impressionnisme ; celle de collectionneurs étrangers qui ont participé à son internationalisation ; l’analyse du rôle de collectionneurs qui ont influé sur la manière dont le mouvement a été reçu par le public en France et à travers le monde – c’est précisément le cas de l’école impressionniste de Rouen, promue par François Depeaux.

En introduction, les directrices de l’ouvrage notent que la naissance de l’impressionnisme est contemporaine de l’apparition dans le dictionnaire Littré des mots « collectionneur » et « collectionneuse », en 1866. La figure du collectionneur d’art moderne émerge dans les années 1850 avec l’école de Barbizon et se développe parallèlement à celles du marchand et du critique. À cette époque, vivre entouré d’une collection est à la mode : les peintres représentent leurs modèles au milieu de leurs acquisitions, eux-mêmes invitent les amateurs à découvrir leurs dernières créations aux murs de leur appartement et le galeriste Paul Durand-Ruel expose chez lui les tableaux à vendre.

La porosité est grande entre marchands, artistes et amateurs. Ainsi, Frédéric Bazille, Gustave Caillebotte, Édouard Manet, Giuseppe de Nittis, Edgar Degas, Paul Gauguin, pour ne citer qu’eux, sont peintres et collectionneurs ; Mary Cassatt, peintre, est aussi intermédiaire pour les acheteurs américains. Alexandre d’Andoque analyse le cas de Gustave Fayet, entrepreneur vivant à Béziers mais aussi artiste et enfin directeur du musée de sa ville. Il commence par des achats en province puis poursuit ses recherches à Paris où il se lie avec le peintre George-Daniel de Monfreid qui l’introduit chez les artistes, les collectionneurs et les marchands. Au contact de ce milieu, le Biterrois affirme peu à peu son goût et promeut l’art moderne auprès de ses concitoyens.

En s’attachant à la quatrième exposition impressionniste qui a lieu en 1879, Catherine Méneux révèle les stratégies de peintres, qui, plutôt que d’accrocher leurs œuvres récentes destinées à la vente, préfèrent solliciter leurs collectionneurs afin d’obtenir le prêt de tableaux leur permettant de présenter des ensembles significatifs de leur production. C’est le cas de Monet demandant à Georges de Bellio de lui confier Impression, soleil levant et La Rue Montorgueil, à Paris. Fête du 30 juin 1878.

À l’étranger, l’impressionnisme se répand de proche en proche. Lukas Gloor montre que c’est en Allemagne et non en France que le Suisse Georg Reinhart le découvre au début du XXe siècle. En 1889, les richissimes Bertha et Potter Palmer, un couple de Chicago, sont initiés à ce mouvement par Sara Hallowell, commissaire d’exposition. À Paris, elle leur fait visiter des ateliers d’artistes et des galeries d’art. Puis elle choisit chez les marchands parisiens des tableaux qu’elle fait envoyer aux États-Unis afin que les Palmer puissent acquérir ceux qui leur plaisent.

Dans les années 1930, Hollywood découvre l’impressionnisme. Cet art est au cœur de la collection de l’acteur Edward G. Robinson qui posera vers 1955 au milieu de ses chefs-d’œuvre sur une photo promotionnelle pour un film. Dans les années 1940, raconte Théo Esparon, plusieurs collectionneurs locaux ont l’intention « de former une communauté d’amateurs d’art et de construire, à travers le Los Angeles Museum, un centre d’art ouvert sur la peinture moderne. Ce noyau se regroupe autour d’une inclination partagée pour la peinture française et par le goût fondamental, en un sens fondateur, pour l’impressionnisme ». Au Japon, Magosaburo Ohara constitue une collection grâce au peintre Torajiro Kojima qu’il missionne pour lui procurer des tableaux, notamment impressionnistes. En 1930, après la mort de ce dernier, Ohara inaugure le premier musée d’art occidental du Japon, consacré à sa collection.

Collectionner l’impressionnisme. Le rôle des collectionneurs dans la constitution et la diffusion du mouvement,
Ségolène Le Men et Félicie Faizand de Maupeou (sous la dir. de), Silvana Editoriale, Milan, 2023, 304 p., 140 ill., 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Les collectionneurs, frères d’armes des impressionnistes

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