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Vers un nouvel écosystème de l’art contemporain ?

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 23 septembre 2025 - 1488 mots

Baromètre du marché de l’art contemporain, le rapport « Art Basel-UBS 2025 » indique la croissance limitée dans ce secteur, analyse les baisses d’activités et repère des changements dans l’écosystème des marchands. Une nouvelle ère se profilerait-elle avec l’arrivée de nouveaux acheteurs ciblant des œuvres plus abordables ou celle de la prochaine génération de philanthropes ?

C’est un constat sans appel que dresse le rapport « Art Basel et UBS Art Market 2025 » : « Les ventes sur le marché mondial de l’art ont reculé de 12 % en 2024, pour atteindre environ 57,5 milliards de dollars [49,4 Md€]. » Après une forte reprise post-pandémie, 2024 a été la 2e année de ralentissement, le principal frein à la croissance étant le segment haut de gamme du marché. Doté depuis cette année d’un « Baromètre » annuel, le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) note, pour sa part, que « le chiffre d’affaires global déclaré en 2024 par les galeries adhérentes s’élève à 578 millions d’euros, avec une baisse estimée d’environ 6 % par rapport à 2023 ».

Un contexte économique préoccupant

Cette dégradation du marché de l’art est principalement liée au contexte économique incertain, induisant une prudence accrue des acheteurs. Les transactions sont plus lentes et plus compliquées, relatent les galeristes. Guillaume Sultana (Paris) observe ainsi « une très grosse frilosité et l’absence de prise de risque de la part des collectionneurs français depuis le début de l’année ». Il ajoute que « le plus difficile, ce sont les hauts et les bas. Ce n’est pas tant que rien ne marche, mais tout est incertain. Il faut être patient, savoir gérer les délais »… Et les attentes de paiements : une plaie pour les petites entreprises. « La hausse généralisée des coûts pour participer aux foires constitue un autre facteur de fragilisation, relève le rapport du CPGA. Qu’il s’agisse des grandes foires internationales, dont les tarifs explosent, des loyers en zones urbaines, des coûts de production des œuvres ou encore des frais de logistique et de transport, les charges supportées par les galeries atteignent des niveaux critiques. » Ces conditions pèsent particulièrement sur les petites et moyennes structures, dont la trésorerie est plus fragile. Quant aux galeries plus importantes, elles sont, pour certaines, engagées dans une dangereuse course en avant. Interrogé par le média en ligne Artnet (15 août 2025), Jeff Poe, retiré de la galerie américaine Blum & Poe depuis deux ans, donne sa vision de l’histoire – alors que son ancien collaborateur, Tim Blum a annoncé cet été la fermeture définitive de l’enseigne : « Je pensais que 2020 serait une année catastrophique, mais ça n’a pas été le cas. Nous avons tous gagné de l’argent. Certes, les ventes ont diminué, mais les frais généraux ont chuté. Pas de foires d’art. Des frais d’exposition et d’expédition quasi nuls. Presque tout s’est fait en ligne. […] Si les galeries avaient tiré les leçons de la crise du Covid et fait preuve d’intelligence, elles auraient participé à moins de foires, n’auraient pas cherché à s’agrandir, n’auraient pas pris d’artistes sous contrat, auraient calmé le jeu. Au lieu de quoi, tout le monde est revenu à la normale. Certaines ont même accéléré le mouvement. Et maintenant que la marée se retire, on se rend compte que quelques-unes nageaient nues. »

Résilience et restructuration

Si les galeristes se disent dans l’ensemble préoccupés par le contexte économique, beaucoup affichent cependant leur résilience et estiment ne pas être directement concernés par la mauvaise santé de leur secteur. Cette posture ne traduit pas un déni mais une nouvelle structuration du marché avec « des ventes plus soutenues dans certains segments à prix plus bas », observe le rapport « Art Basel-UBS ». En effet, malgré la baisse de valeur, « le nombre de transactions a augmenté de 3 % pour atteindre 40,5 millions en 2024 », précise le document. Les plus petites structures, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 250 000 dollars ont ainsi connu une croissance significative de 17 %, selon le rapport. La tendance est claire : dans les galeries comme dans les maisons de ventes aux enchères, les acheteurs privilégient des œuvres plus abordables. Et tandis qu’en France, les institutions publiques – Frac et musées – touchées par la diminution des subventions, achètent moins, le poids du marché se déplace vers les collectionneurs, notamment étrangers.Ajoutons que le marché international, affecté par les conflits et la montée des périls, est aussi soumis à un regain de protectionnisme qui pourrait avoir des implications à long terme. « L’essor et la position dominante de l’art contemporain au cours de la dernière décennie sont dus, en partie, au fait qu’il n’y avait que très peu de restrictions à la circulation d’œuvres à travers les frontières », analyse le rapport « Art Basel-UBS ». Or, si les ventes d’art contemporain ont été à l’origine de la reprise du marché de l’art en 2021, elles accusent un essoufflement ces deux dernières années. Le marché local ne suffit pas à procurer assez d’oxygène à un secteur qui a besoin de se développer à l’international, à travers les différentes foires où convergent les collectionneurs étrangers.

collectionneurs frileuxmais nouveaux acheteurs

De nombreux collectionneurs considèrent que l’ajout d’œuvres d’art à leur portefeuille financier est un moyen efficace de diversifier les risques et comme une réserve de valeur complémentaire en période d’incertitude économique. « En 2024, plus de 85 % des HNWI interrogés [High Net Worth Individuals : les personnes disposant de plus d’un million de dollars à placer, NDLR] ont estimé que l’art était un investissement relativement sûr par rapport à d’autres actifs traditionnels tels que les actions, et ils ont reconnu qu’il pouvait constituer un moyen utile de diversifier leur portefeuille », selon le rapport « Art Basel-UBS ».

Malgré cette image de l’art comme « valeur refuge » et la confiance affichée par de nombreux investisseurs dans sa capacité à résister aux fluctuations économiques, la proportion de leur fortune allouée à ce secteur a pourtant reculé ces dernières années. Ce repli laisse entrevoir une attitude plus prudente de la part des grands collectionneurs en 2023 et 2024. Selon les experts, ils privilégient désormais des actifs plus liquides ou générant des revenus réguliers, tels que les placements financiers classiques ou dans la pierre, au détriment des œuvres d’art. La part de la richesse investie dans l’art par les HNWI a diminué au cours des deux dernières années. Après avoir culminé à 24 % en 2022, elle est tombée à 19 % en 2023, puis à 15 % en 2024, selon le rapport. Mais l’augmentation du nombre d’œuvres d’art vendues à des prix inférieurs à 50 000 dollars semble prouver que les marchands et les maisons de ventes aux enchères ont réussi à atteindre de nouveaux acheteurs et à élargir, par conséquent, le marché. Ce renouvellement des collectionneurs constitue un enjeu crucial. « C’est une priorité majeure, martèle le « Baromètre » du CPGA. Nombre de galeristes soulignent la difficulté à capter une nouvelle génération d’acheteurs, moins attachée aux formes traditionnelles de consommation de l’art et souvent plus attirée par des expériences culturelles que par la possession d’œuvres. »

Reste qu’en 2024 une part importante des marchands a su séduire de nouveaux acquéreurs, selon le rapport « Art Basel-UBS » : 44 % des clients ayant acheté des œuvres n’avaient jamais réalisé d’achat auprès d’eux auparavant. Les ventes à ce nouveau public ont progressé pour représenter 38 % du total, phénomène particulièrement marqué dans les petites galeries, où la proportion atteindrait même 50 %. Ces nouveaux venus attirés par des pièces plus abordables confirment que le rôle des petites galeries est capital pour assurer le renouvellement de la clientèle du secteur en l’élargissant. Quant aux méga-galeries, bien qu’elles s’adressent à des groupes très ciblés et plus restreints, elles ont également vendu à de nouveaux amateurs d’art, mais dans de moindres proportions. Ce renouvellement des collectionneurs va être affecté par un phénomène d’ampleur : parmi les plus nantis, la majorité de la richesse étant désormais héritée, un renouvellement de génération se profile. Aux États-Unis, les riches babyboomers devraient, d’ici 2045, léguer à leurs enfants de la génération X – nés entre 1965 et 1980 –, ou aux milléniaux – nés après 1980 – près de 84 000 milliards de dollars (source : « UBS Global Wealth Report »). Les nouveaux détenteurs de richesses auront-ils des goûts différents de ceux de leurs aînés ? L’étude « Art Basel-UBS » sur les philanthropes de la prochaine génération identifie des tendances futures telles que « l’accent mis sur le numérique, la volonté d’avoir un impact, un besoin de contrôle, une sensibilité à l’environnement et la justice sociale ». Des valeurs qui émergent dans le monde de l’art. En attendant, les foires tentent de panacher leur offre à travers leur sélection de galeries. Sur Art Basel Paris, du 24 au 26 octobre [lire page 108], on trouvera des œuvres de maîtres du XXe siècle et de grands noms de l’art contemporain, mais aussi des plasticiens établis en milieu de carrière, des travaux d’artistes émergents et un peu d’art brut. Un cocktail bien dosé que les foires off [lire p.110]relèveront de leurs propositions plus spécifiques, des pièces de design aux dispositifs multimédia en passant par les arts décoratifs, en plein regain.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°789 du 1 octobre 2025, avec le titre suivant : Vers un nouvel écosystème de l’art contemporain ?

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