Entretien

Valérie Cueto, galeriste à New York

« Opalka, prochain Kawara »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 24 juillet 2007 - 764 mots

 Après avoir officié pendant six ans dans le Marais, vous avez quitté Paris pour ouvrir une galerie le 24 février à New York. Pensez-vous que l’herbe soit plus verte aux États-Unis ?
Je vais là où se trouve la clientèle. Pour un François Pinault en France, il en existe des centaines aux États-Unis. Il y a là-bas une économie et un pouvoir d’achat que nous n’avons pas, et n’avons jamais eus, en France. Je souhaite me remettre dans la cartographie du « Worldwide Tour » des collectionneurs. Dans l’art contemporain, comme dans les concerts de rock, certaines étapes sont jugées indispensables et Paris n’en fait pas partie, avec ou sans Grand Palais. Les collectionneurs se rendent en revanche au moins trois fois par an à New York pour les grandes ventes publiques et l’Armory Show. On croise même plus de Français à Chelsea que dans le Marais !

Le guide Chelsea Art Galleries répertorie 247 galeries à Chelsea. Un nouveau venu ne risque-t-il pas d’y être noyé ?
On peut être noyé partout, y compris dans le Marais. Une nouvelle galerie n’est pas plus nécessaire à Paris qu’à New York. La différence, c’est qu’il existe [dans la Grosse Pomme] un potentiel supérieur de collectionneurs, sans compter les institutions, fondations privées, musées d’université. S’il y a trois cents galeries, c’est qu’il y a trois cents fois plus d’opportunités de ventes qu’ailleurs. Toutes les enseignes s’agrandissent, prennent un deuxième ou troisième espace supplémentaire. Certaines galeries de Brooklyn, qui ont ouvert la même année que moi à Paris, ont déménagé depuis à Chelsea sur la 27e Rue, qui est devenue un peu l’équivalent de la rue Louise-Weiss [dans le 13e à Paris]. Elles marchent très bien, sans travailler pour autant avec des artistes superstars.

Le fait d’être française est-il pénalisant aux États-Unis ?
Je n’ai pas un nom français, un accent français ni d’artistes à proprement parler français. Ce n’est d’ailleurs plus un handicap d’être français, contrairement à ce qui fut le cas dans les six premiers mois qui ont suivi l’invasion américaine en Irak. Du moment qu’on possède un bon programme et qu’on est aussi dynamique que les autres, il n’y a pas de problème. Cela a plutôt réussi aux Allemands de s’installer à New York : regardez Anton Kern, David Zwirner, ou Leo Koenig. Peut-être que les Français s’y mettront aussi, après Daniel Lelong et Yvon Lambert.

On dit souvent que New York est une foire à elle toute seule. Le fait d’y détenir une galerie exempte-t-il d’une participation dans les salons ?
Bien sûr, cela limite l’intérêt et l’urgence de participer aux foires. Et puis je pense qu’à terme les collectionneurs reprendront le chemin des galeries. Certains se sont lassés de la démultiplication des événements mondains et des foires off. Beaucoup de collectionneurs importants, comme Francesca von Habsburg, ne se sont pas rendus sur Art Basel Miami Beach [cette année]. Certains Américains ne vont pas sur Art Basel. On ne peut pas défendre correctement le travail d’un artiste dans les trente mètres carrés d’un stand.

Votre exposition inaugurale montre les artistes habituels de la galerie, mais aussi Roman Opalka. Pourquoi ce choix ?
Opalka est un immense artiste, qui ne bénéficie pas encore de la renommée qu’il mérite. Voilà quatre ans, quand j’ai fait une exposition autour du blanc, ses tableaux valaient à peine 65 000 dollars [60 400 euros de l’époque]. Aujourd’hui un tableau d’Opalka vaut autour de 250 000 dollars. À voir l’effervescence depuis un an autour d’un artiste minimaliste comme On Kawara, je me dis qu’Opalka peut susciter le même enthousiasme. Dans quelques années, il devrait être au prix d’Agnes Martin ou de Robert Ryman.

En France, les galeries d’art contemporain rechignent souvent à participer au second marché. Qu’en est-il outre-Atlantique ?
Le second marché n’est pas mal perçu aux États-Unis, [il représente] même un devoir. Beaucoup de galeristes ont été formés soit en salle des ventes, soit chez le marchand Larry Gagosian, un maître du second marché. Cela permet de financer les productions de plus en plus onéreuses des artistes, et de couvrir les frais qu’induisent les foires et le coût de la vie à New York. Il m’arrive de trouver des pièces dans des collections américaines et, grâce au cours avantageux du dollar, de les revendre en Europe.

Observe-t-on aux États-Unis une quelconque inquiétude quant à la flambée des prix ?
Évidemment, tout le monde garde l’idée d’une crise dans un coin de sa tête, mais personne n’en parle. Même si le marché s’écroule, il se redressera vite. En revanche, les goûts changent et un artiste en remplace un autre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : Valérie Cueto, galeriste à New York

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