Coutau-Bégarie

Une vente cousue de fil blanc

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 653 mots

La garde-robe des princes de Ligne a créé l’événement à Drouot. Cent pour cent des lots ont été vendus pour quatre fois le montant attendu.

 PARIS - C’est dans une salle archi-comble, dans une ambiance électrique exaltée par la présence des caméras de télévisions belges et françaises, qu’a eu lieu le 14 janvier la vente de la garde-robe des princes de Ligne, provenant du château de Belœil en Belgique, soit un florilège de deux siècles d’élégance européenne. « C’était presque l’émeute ! », atteste l’expert Xavier Petitcol. Témoin privilégié de cet événement mondain qui a attiré de nombreux collectionneurs français et belges, conservateurs de musées et une foule de curieux venus de toute l’Europe, le prince de Ligne dernier du nom, assis au premier rang, a apprécié la bonne tenue des commissionnaires de Drouot, qui avaient mis leurs gants blancs pour l’occasion. Déjà quelques jours avant la vente, le commissaire-priseur Olivier Coutau-Bégarie et son équipe étaient un peu dépassés par le phénomène : le catalogue tiré à 4 000 exemplaires était épuisé avant même l’exposition des lots et des conservateurs de musées belges ont manifesté leur agacement au regard du droit de préemption existant en France qui permet aux institutions françaises de leur voler la mise. « C’est notre patrimoine ! », a objecté l’un d’eux.

Prix multipliés par quatre
Cent pour cent des lots (moins une enchère qui ne faisait pas partie de la collection belge) se sont vendus à des prix multipliés par quatre en moyenne. Le total des adjudications s’élève à 475 880 euros, également quatre fois la somme escomptée. Les précieux damas cramoisis ont atteint à eux seuls environ 100 000 euros. Un cinquième des lots en valeur ont été emportés par des musées européens. Finalement, une seule pièce a été préemptée à 40 504 euros (le lot le plus cher) par le Musée Galliera de Paris : une superbe veste d’un habit Spitafields de 1747-1748, en brocart « naturaliste » tissé à disposition, au fond gros de Tours bleu céleste façonné à croisillons dont les larges bordures étaient entièrement brochées de coquilles en filé, frisé or et lame argent, avec des fleurs brochées en soie de la plus vive polychromie. L’enchérisseur qui s’est fait souffler le lot, un particulier qui voulait à tout prix acheter cet habit destiné à un autre musée européen, a qualifié cette pratique légale en France de « concurrence déloyale ». La même institution a par ailleurs acheté 5 ou 6 lots sans user de son droit de préemption, dont plusieurs tenues des Années folles, à l’exemple d’une robe tunique en mousseline de soie noire vers 1925 pour 1 548 euros (dix fois l’estimation).
Autre pièce phare, un habit de cour et son gilet, daté vers 1785-1790, cannelé de ton lilas abondamment brodé de soie blanche, paillettes argent et petits miroirs à facettes, a pour sa part été adjugé 19 656 euros au Musée du costume de Bruxelles, adjudicataire d’autres vêtements. Un amateur parisien a fièrement remporté pour 20 848 euros un habit « en pièce en velours coupé de soie vert bouteille brodé de fils d’or, d’argent et de soie polychrome », un travail lyonnais daté vers 1785. Les Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, le musée des manufactures de dentelles de Retournac dans le Velay, celui des beaux-arts et de la dentelle d’Alençon, le Musée Le Secq-de-Tournelle à Rouen – lequel a acquis pour 6 550 euros de damas cramoisis et de galons pour refaire la garniture d’un lit Renaissance –, le Palais royal de Madrid ainsi que plusieurs institutions européennes ont été très actifs.
Au cours de cette seule vente, certains musées ont épuisé l’intégralité de leurs fonds d’acquisition disponibles pour 2004, à l’instar du Musée Galliera, qui a même un peu dépassé son budget annuel. Enfin, des particuliers belges et européens ont férocement bataillé sur une grande majorité des lots, laissant peu de marge de manœuvre aux quelques marchands présents.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Une vente cousue de fil blanc

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