Expertise

Une « Intimité » de Zadkine contrefaite

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2015 - 897 mots

La cour d’appel de Paris a lourdement condamné le propriétaire d’une sculpture sur bois d’ébène d’Ossip Zadkine, s’appuyant sur une expertise particulièrement minutieuse.

PARIS - L’affaire remonte à dix ans, lorsqu’en 2005 un commissaire-priseur averti est venu présenter au comité Zadkine une sculpture sur bois d’ébène, signée « OZ » [d’après les initiales d’Ossip Zadkine], en vue de son authentification. L’œuvre, intitulée Intimité et répertoriée au sein du catalogue raisonné de l’artiste, semblait correspondre à celle exposée au feu des enchères par Sotheby’s Londres en 1971. Gage supplémentaire de confiance, elle était accompagnée d’un certificat d’authenticité délivré un an plus tôt par l’un des membres du comité, précieux sésame obtenu par le propriétaire se présentant comme marchand d’art. Ce dernier vient cependant d’être condamné par la cour d’appel de Paris, après avoir été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris en 2012 pour avoir diffusé une œuvre de l’esprit arguée de contrefaçon. L’arrêt du 17 septembre dernier infirme en tout point le jugement rendu le 4 avril 2013 en retenant – de manière un peu expéditive – que le délit est constitué en son élément matériel comme moral. Outre la peine d’amende portée à 50 000 euros, justifiée par « la nature des faits et leur gravité objective », le prévenu a été condamné à réparer le préjudice moral subi par la Ville de Paris, légataire universel de l’artiste conformément à une décision de la Cour de cassation du 15 mai 2013, à hauteur de 50 000 euros, et le préjudice patrimonial subi à hauteur de 100 000 euros. Un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris a été formé.

Comparaison par modélisation
Si les cas de contrefaçon sont de plus en plus rarement portés devant la juridiction pénale, l’intérêt de la présente affaire réside dans les soins apportés à la détermination du caractère contrefaisant ou non de l’œuvre Intimité. Au-delà de la traditionnelle expertise stylistique de la sculpture et de l’étude de son pedigree, l’expertise technique, dite « scientifique », a été réalisée avec une très grande minutie. D’un point de vue stylistique, l’œuvre « différait notablement de celle répertoriée au catalogue raisonné de l’œuvre d’Ossip Zadkine établi par Sylvain Lecombre », selon la cour d’appel. La sculpture contrefaisante serait ainsi marquée par une absence de finesse et une certaine mollesse dans la manière de travailler les cheveux. Par ailleurs, Zadkine était un spécialiste de la taille directe, « ce qui exclut qu’il ait fait deux œuvres similaires ». À ces défauts s’ajoutait une incohérence dans les dimensions au regard des indications portées au sein du catalogue raisonné. Sur ce dernier point, la partie civile rétorquait que de telles différences s’expliquent par le phénomène de rétractation du métal qui justifie la légère différence de taille entre l’œuvre saisie et celle en bronze du musée, ayant servi d’élément de comparaison. Mais une telle justification ayant été écartée par l’expertise judiciaire, l’argument était balayé à son tour par la cour.

L’expertise judiciaire reposait, en effet, sur une comparaison par modélisation en trois et en deux dimensions de l’œuvre litigieuse avec, à la fois : la photographie de l’œuvre non contestée figurant au catalogue raisonné de l’artiste ; le tirage en bronze de cette œuvre réalisé avec l’autorisation de la veuve de l’artiste ; une autre œuvre en bois également intitulée Intimité ; et enfin une photographie provenant du catalogue de vente de 1971. Une fois cette comparaison effectuée, l’expert concluait, d’une part, à une compatibilité entre l’œuvre litigieuse et la photographie de celle mise en vente par Sotheby’s pour le compte d’une galerie londonienne et, d’autre part, à une incompatibilité morphologique entre la photographie de l’œuvre originale et la modélisation en trois dimensions de l’œuvre contrefaisante. La sculpture mise en vente, sans succès, en 1971 était donc une contrefaçon, qualité que l’expertise scientifique a rendue incontestable par les multiples éléments d’analyse mobilisés.

Introuvable depuis 1970
Élément à charge supplémentaire à l’encontre du marchand, ce dernier avait en sa possession deux exemplaires, sans pour autant pouvoir produire un quelconque document attestant la traçabilité des œuvres ni leur authenticité. Et c’est assurément sur ces deux derniers éléments que la présente affaire a pu éclore, rappelant quelque peu les procédés utilisés par les faussaires célèbres, à l’exemple de l’entreprise de Wolfgang Beltracchi. Une œuvre disparue du circuit marchand, mais répertoriée dans des catalogues – de vente ou raisonné – et bénéficiant d’une reproduction photographique, attise souvent l’intérêt des spécialistes, lesquels, trop heureux de redécouvrir enfin un tel objet, ne se méfient plus assez. Or, en l’espèce, Intimité, sculptée en 1948 et photographiée par Marc Vaux – photographe officiel de l’œuvre de Zadkine – la même année, était introuvable depuis 1970. À cette époque, une galerie d’art d’Amsterdam avait sollicité Valentine Prax, la veuve du sculpteur, afin de pouvoir tirer plusieurs exemplaires en bronze. Un an plus tard, l’exemplaire contrefaisant apparaissait à Londres avant de s’évanouir dans les zones grises du marché pendant plus de trente années. Le rédacteur du certificat, membre du comité, a depuis reconnu avoir fait une erreur, ayant trouvé l’œuvre changée tout en ayant pensé lors de son examen qu’elle avait été mal restaurée et polie dans tous les sens. Devant le doute ou face à l’attrait de la réapparition d’une œuvre attendue, l’avis d’un comité, marqué par la pluralité de regards et de connaissances, constitue un gage supplémentaire de sérieux dans le processus de l’authentification.

Légende photo

Ossip Zadkine, en 1965. © Photo : Jac. de Nijs/Anefo-Nationaal Archief.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Une « Intimité » de Zadkine contrefaite

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