Art déco

Une collection au goût incertain

À Paris, était dispersé, chez Sotheby’s, un ensemble pseudo-parisien rassemblé à Vienne qui avait tout l’air d’être destiné à un nouveau marché fort argenté

Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2008 - 761 mots

PARIS - Un catalogue à la couverture argentée très séduisante dans l’esprit Wiener Werkstätte annonçait à la fin de l’année chez Sotheby’s une vente d’arts décoratifs du XXe siècle. Le sous-titre parlait d’une grande collection viennoise. Naïvement avec un titre pareil, on s’attendait à des objets et des meubles dignes du cadre de vie imaginaire d’une Adèle Bloch-Bauer dont les deux portraits par Klimt ont battu récemment tous les records (surtout celui de 1907 sur fond de mosaïque d’or). La surprise fut grande en voyant que les objets viennois se réduisaient à deux pages (il n’y avait pas de meubles).
L’objet de la couverture (en réalité un petit coffret d’argent de 7,5 x 14 x 8 cm) a quand même fait un record mondial pour Josef Hoffmann, remis à la mode par la merveilleuse exposition à la Neue Galerie de New York, l’endroit où la belle Madame Bloch-Bauer attire la foule des curieux pour sa beauté et pour son prix aussi, je suppose. À part quelques beaux Ruhlmann et quatre fauteuils de Chareau, il n’y a pas de grands meubles, seulement un petit choix pas inintéressant d’Arbus, de Printz, de Dominique et d’Adnet.
Curieux mélange... qui s’explique par les photos de l’étrange écrin qui abritait cette « grande collection ». Les tapis persans hideux, le parquet trop ciré et les plantes vertes en disaient long... La base de cette collection était entièrement faite de statuettes de Demetre Chiparus (là aussi il y a eu un courageux record mondial pour un travail de cet artiste). Il fallait être russe pour payer si cher un tel objet dans le goût plus«Mitteleuropa » que parisien. C’est le goût des « Ballets russes » après ceux de Bakst. Chiparus n’est point Rateau et le risque d’en trouver chez Cheska Vallois ou Anne-Sophie Duval, grandes prêtresses depuis quarante ans de cette période, est inexistant. Ces objets revenus de Vienne font plutôt «viennoiseries ». Pour les grands collectionneurs, ils représentent le côté mauvais goût de l’art déco. Déjà Paul Poiret, qui avait été pourtant le premier avant 1910 à signaler (et à s’en inspirer, surtout pour «Martine », sa maison de décoration) les Wiener Werkstätte en France, ne s’était jamais remis des « Ballets russes » par la suite, ce qui avait permis à Mademoiselle Chanel et Madame Vionnet de le dépasser après la guerre de 1914-1918. Chiparus aussi a été laissé sur le bord de la route de l’évolution du goût et de la mode à la fin des années 1920 et dans les années 1930 (quand il continuait à travailler de manière inchangée dans ce style pourtant dépassé). Son travail me fait penser à l’étouffant décor de l’ancien Cinéma Paramount des Grands Boulevards, sorte de goût à la manière d’un Cecil B. DeMille sans Paul Iribe. Jean- René Delaye, le grand expert de Sotheby’s, a fait ce qu’il pouvait pour présenter cette étrange collection. Même lui n’a pas pu retrouver des détails sur les signatures qu’on trouve sur les sous-Chiparus de cette accumulation. Qui connaît Laurent Hely, Paul Philippe, G.H. Gantcheff, Alfred Gilbert, Th. Ullmann, J.D. Guirande, J. Granger ou P. del Luiny ? Leurs oeuvres ont plus leur place aux puces que chez Sotheby’s. D’ailleurs c’est là qu’on les trouvait habituellement. À côté de Chiparus, Ferdinand Parpan (1902- 2004 – 102 ans – j’adore !) semble être Brancusi et son superbe éléphant méritait mieux que les 33 600 euros obtenus (surtout par rapport aux 314 400 euros du Chiparus n°93 du catalogue que seuls le sujet et l’inspiration très music-hall peuvent expliquer). Quant aux tableaux de la belle Madame de Lempicka, on préfère les oublier. D’ailleurs, celui avec les fleurs molles à la Georgia O’Keeffe – version délavée – n’apparaît pas sur la liste des résultats de vente. S’étaient-elles fanées avant ? On saute du n°61 directement au n°63. Ce nu est un authentique autopastiche du travail superbe de la grande artiste polonaise. Ici tout ce qui faisait la force graphique de son travail manque cruellement. La dame semble molle et a l’air fatiguée. L’Heure bleue II est le titre de cette composition. Je pense qu’elle n’a pas pris le train du même nom (qui n’existe plus d’ailleurs), mais le « Transsibérien ».
Le goût de cette collection pseudoparisienne rassemblée à Vienne avait de toute façon l’air entièrement destinée à ce nouveau marché fort argenté, mais encore au goût incertain...

SOTHEBY’S, ARTS DÉCORATIFS DU XXE SIÈCLE, 14/12

- Expert : Jean-René Delaye - Résultats : 4 millions d’euros - Vendus/invendus : 91/9 - Lots vendus : 91 % - Pourcentage en valeur : 97,2 %

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°250 du 5 janvier 2007, avec le titre suivant : Une collection au goût incertain

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