Un Rimbaud sort de l’ombre

Le manuscrit autographe d’\"Une Saison en enfer\" mis en vente à Drouot

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 9 octobre 1998 - 622 mots

Deux ventes organisées en novembre, le 17 à Drouot-Montaigne par l’étude Tajan, et le 30 à Drouot-Richelieu par l’étude Laurin-Guilloux-Buffetaud, devraient mettre en ébullition le petit monde des collectionneurs de manuscrits et livres anciens. La première comprend notamment un exceptionnel manuscrit autographe d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, issu de la collection Jacques Guérin, la seconde huit livres d’heures du XVe siècle provenant de la bibliothèque de Paul-Louis Weiller.

PARIS - Achevée après sa rupture dramatique avec Verlaine, en août 1873, Une Saison en enfer est une autobiographie en prose poétique. L’écriture fine et nerveuse révèle la révolte du jeune homme qui confesse dans ces pages toute sa vie, ses idées religieuses et mystiques, et sa passion pour l’auteur des Poèmes saturniens... Les six pages, qui comportent de nombreuses ratures et corrections, constituent le seul brouillon connu de ce chef-d’œuvre de la littérature. Retrouvées en 1938 à Londres, elles ont été acquises dans les années cinquante par le collectionneur Jacques Guérin qui les a secrètement conservées depuis. Le manuscrit, jamais exposé, est estimé 3 millions de francs environ.

La vacation comporte en outre une dizaine de poèmes autographes estimés chacun 300-500 000 francs, dont Ophélie et À la musique. “Ces poèmes ont été donnés par Rimbaud à son professeur Izambard, explique l’expert Michel Castaing. L’État français devrait faire un effort et aider la Bibliothèque nationale de France à acquérir ces chefs-d’œuvre”.

Une édition originale de 1868 du premier des Chants de Maldoror (1 million de francs) sera également mise en vente. “Il s’agit d’une édition rarissime. On n’en connaît aujourd’hui que quatre ou cinq, dont celle de la Bibliothèque nationale de France et l’un des exemplaires envoyés par Lautréamont à Victor Hugo, conservé à la maison de Victor Hugo à Paris, indique l’expert Dominique Courvoisier. L’ouvrage, qui n’avait rencontré aucun succès au moment de sa publication, a probablement été détruit, et l’on peut penser que seuls ont été mis en circulation les exemplaires que Lautréamont avait envoyés à une vingtaine de critiques”.

Des livres d’André Breton, Blaise Cendrars, Marcel Proust et Jean Genet, certains reliés en soie, seront aussi dispersés. Parmi eux, l’édition originale de Querelle de Brest de Jean Genet, ornée de vingt-neuf dessins de Cocteau (100 000 francs), et le Condamné à mort (30 000 francs), le premier poème publié en 1942, après sa sortie clandestine de la prison de Fresnes. Cette très rare édition originale porte une dédicace de Genet à Jacques Guérin, qui a été son mécène et ami de 1947 à 1952.

L’ami des têtes couronnées
Le 30 novembre, l’étude Laurin-Guilloux-Buffetaud prendra le relais en dispersant une partie de la bibliothèque de Paul-Louis Weiller (1893-1993), héritier d’une grande famille du XIXe siècle qui s’était illustrée dans l’industrie, la finance et la politique. Ingénieur de l’École centrale, héros de l’aviation pendant la Grande guerre, il est dès l’âge de 29 ans le patron de l’entreprise Gnôme et Rhône, qui deviendra la Snecma après sa nationalisation en 1945. Après la guerre, il concentre ses activités sur la finance internationale et mène une intense vie mondaine, fréquentant notamment les familles royales d’Europe.

La vente, qui devrait produire 12 à 15 millions de francs, propose huit livres d’heures du XVe siècle, dont les Heures de Guy de Laval à l’usage de Rome (2-3 millions de francs). “C’est un livre de toute beauté, exécuté de la main du Maître des Heures de Guise, ainsi nommé d’après les Heures de François de Guise conservées au Musée Condé, à Chantilly, explique Me Buffetaud. Les peintures, de grande taille, sont remarquables par leur finesse d’exécution”. La vacation comprend aussi des livres des XIXe et XXe siècles, tel cet ouvrage de Marcel Proust, un des cent exemplaires réimposés de La Recherche du temps perdu (800 000 francs).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Un Rimbaud sort de l’ombre

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