Art russe

Un marché sélectif porté par de nouveaux collectionneurs

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 1161 mots

La cote des artistes russes des écoles de Paris est soutenue par des collectionneurs issus de la Fédération de Russie. Les prix pour Lanskoy ont par exemple augmenté de 20 % depuis quatre ans.

 PARIS - Depuis quelques années, les Russes, en quête d’identité culturelle, se réapproprient leurs valeurs artistiques, occultées pendant toute la période soviétique, s’intéressant en particulier aux peintres de l’école de Paris actifs entre 1910 et 1960. Le phénomène de reconquête de l’art n’est pas nouveau. Il concerne parallèlement le marché chinois et les pays d’Amérique latine. Sur le Vieux Continent, il touche plus largement l’Europe centrale. Les Russes restant les plus nombreux à chiner leur patrimoine culturel de par le monde, ils représentent une manne que des acteurs du marché cherchent aujourd’hui à exploiter. Pourtant, ils n’achètent pas n’importe quoi, n’importe comment et à n’importe quel prix. Nouvellement implantée à Londres, sur le terrain conquis par Christie’s et Sotheby’s, la nouvelle maison de ventes MacDougall dédiée à la peinture russe et fondée par le couple anglo-russe William et Catherine MacDougall (lire le JdA n° 205, 17 déc. 2004), a enregistré lors de sa première vente le 30 novembre un taux de 40 % de lots vendus. L’Américaine d’origine roumaine, Rodica Seward, propriétaire de la maison Tajan depuis un an, a voulu marquer le coup à sa façon en organisant le 9 décembre une vente sur le thème « Paris-Europe centrale-Paris » ; des signatures comme Pougny, Survage ou Larionov n’y ont pas trouvé preneur. Au final, 50 % des lots ont été vendus. À Londres chez Christie’s et Sotheby’s, malgré les prix records pour la peinture russe du XIXe enregistrés chaque année, à peine plus de 50 % des pièces proposées ont la faveur des acheteurs pour un taux avoisinant les 80 % en valeur. En d’autres termes, les acheteurs russes sont très sélectifs mais, quand ils aiment, ils se donnent les moyens d’acheter.
Benoît Sapiro, de la galerie parisienne Le Minotaure spécialisée dans les avant-gardes de l’Europe de l’Est, connaît bien ce marché. «Les Russes sont de fins connaisseurs. Ce ne sont pas des Japonais : on ne peut pas leur raconter des salades. Et quand ils s’approprient quelque chose, ils vont jusqu’au bout. Mais il y a une évolution dans leur façon d’acheter. Les premiers achats russes il y a dix ans portaient sur les tableaux XIXe. Aujourd’hui, ils achètent de l’art moderne. Et si beaucoup ont un goût classique pour le tournant du siècle, certains apprécient déjà Lanskoy et Poliakoff. » Selon Martin Guesnet, responsable du département Art contemporain chez Artcurial, « ces Russes, très critiques et avisés, ont réveillé le marché. Ils ne viennent pas pour le moyen de gamme. Ils étaient très actifs, en tant qu’enchérisseurs et sous-enchérisseurs, lors de la vente de la succession Olga Carré le 9 décembre 2002 sur Lanskoy par exemple. On n’avait pas dépassé le million de francs pour cet artiste depuis longtemps. » Six Lanskoy se sont arrachés au cours de cette vente historique dont une très grande composition de 140 x 260 cm adjugée 160 000 euros au marteau, un prix record depuis les années 1989-1990. « Nous avons effectivement vu des Russes à la Biennale des antiquaires, qui ont tous eu un intérêt pour le Lanskoy historique que nous avons vendu le premier soir, confirme le marchand Franck Prazan. En revanche, nous n’en avons pas vu à la galerie. » « Ils s’entretuent en salles des ventes, mais ne vont pas en galerie, confirme Benoît Sapiro. Ils n’ont pas vraiment de marchands en Russie ou alors de tellement mauvais que les collectionneurs russes achètent des toiles en Europe occidentale qu’ils se revendent entre eux. » Leur réflexe est d’aller dans les ventes publique ou les foires internationales. À tel point que le marchand a « fini par ne plus mettre de Pougny sur [ses] murs », les proposant aux enchères.

Achats raisonnés
Au premier Salon des antiquaires de Moscou en juin 2004, les collectionneurs se sont rués sur les tableaux de Pougny présentés par la galerie Le Minotaure. « J’ai aussi vendu quelques Charchoune mais je me suis aperçu qu’ils connaissaient mal cet artiste qui a pourtant fait don de 36 toiles à la galerie Tretiakov, à Moscou », ajoute Benoît Sapiro.
Les nouveaux collectionneurs russes sont loin d’être insensibles aux accrochages organisés chez eux. Ils ont couru voir « Le Paris russe »,  une manifestation réunissant des artistes venus de Russie et ayant travaillé à Paris avant la Première Guerre mondiale, entre les deux guerres, et jusque dans les années 1960. Présentée au printemps 2003 au Musée russe à Saint-Pétersbourg, l’exposition est ensuite allée à Wuppertal en Allemagne puis au Musée des beaux-arts de Bordeaux. À la suite de cette exposition, l’intérêt des Russes pour Dmitrienko par exemple n’a cessé de croître. Pourtant, cet artiste de la seconde école de Paris né en France n’a guère de lien avec la Russie si ce n’est par sa famille d’origine. Parallèlement à la préparation du catalogue raisonné de Lanskoy (sortie prévue pour 2008-2009), André Schoeller, président du Comité Lanskoy, a le projet de réaliser une grande exposition en Russie en 2005 sur l’œuvre de l’artiste. « C’est vrai que les prix pour Lanskoy ont augmenté depuis trois-quatre ans, d’environ 20 %. Les Russes achètent de plus en plus, mais la cote s’est aussi faite avec les collectionneurs français, allemands, suisses, belges et américains », rectifie-t-il.
Pour Poliakoff et de Staël dont le marché est complètement international et les valeurs bien plus élevées, les Russes sont nettement moins nombreux. En général, ils maintiennent leurs achats dans des fourchettes de prix allant de 100 000 à 200 000 euros . « Ils ne mettent pas d’argent pour quelque chose qu’ils ne comprennent pas », explique Franck Prazan, défenseur des artistes abstraits de la seconde école de Paris. Le 30 novembre 2004, la maison MacDougall avait misé sur des artistes figuratifs d’avant guerre pour des sommes allant de 741 à 27 170 livres sterling (1 079 à 39 576 euros). « En cinq ans, l’art russe, et en particulier l’école figurative de Paris, est monté plus haut que la Bourse en Russie, défend William MacDougall. Nous avons bien vendu des œuvres d’Arapoff [Alexis], Kousnetzoff [Constantin] et Terechkovitch [Constantin]. » Et deux toiles de Mané-Katz, happées par des amateurs ukrainiens, ont été négociées dans le cadre d’une vente privée par l’auctioneer anglo-russe. « Dans l’ensemble, cette vente était minable, formée de peintures de style pompier, de tableaux de peintres sans valeur ou de seconds couteaux de la première école de Paris seulement propres à attirer une première couche d’acheteurs russes », commente pourtant Benoît Sapiro qui doute de la pérennité d’une telle entreprise.
Le marché russe semble encore en train de se former en goût et en connaissance. Dans les années à venir, il pourrait se réorienter sur les valeurs internationales comme Soutine pour l’art figuratif, Sonia Delaunay, Kandinsky, Poliakoff ou encore de Staël pour les ténors de l’abstraction.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Un marché sélectif porté par de nouveaux collectionneurs

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