Ventes publiques

Un marché parisien très disputé

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 2004 - 1199 mots

Dans un climat hyperconcurrentiel, les maisons de ventes briguent de plus en plus l’art du XXe siècle, qui apparaît comme le secteur d’avenir.

 PARIS - Alors que les records n’en finissent pas d’être battus à Londres et New York, Paris est en repli. D’après Artprice, la France a obtenu 7 % de parts de marché dans le « Fine art » au premier semestre 2004 contre 10,3 % au premier semestre 2003. Malgré les roulements de tambour, la relance économique tarde décidément à percuter nos côtes ! Après un premier trimestre plus poussif que d’habitude, Drouot annonce 205 millions d’euros, renouant avec son chiffre d’affaires de 2002. Pour qui a en mémoire la vente André Breton, cette saison manquait de sel. Tajan n’a pas eu l’équivalent de la bibliothèque François Ragazzoni, pas plus qu’Artcurial Briest-Poulain-Le Fur n’a connu de dispersion du type Rolf Meyer ou Perrot-Moore. En revanche, Sotheby’s a réussi à décrocher sept collections et Christie’s peut avancer le jocker Filipacchi. En léger retrait sur le plan international par rapport à sa concurrente (1), Christie’s caracole en tête du classement parisien avec un produit de ventes de 46 millions d’euros. Un chiffre qu’on aurait pu gonfler avec les 10,6 millions d’euros de leur vente d’automobiles du mois de juillet. Tajan se cramponne à la seconde place avec 34,4 millions d’euros, suivi par Sotheby’s et ses 29,7 millions. Pour se donner plus de marges, voire modifier artificiellement leur placement, ces deux maisons ont comptabilisé les ventes de juillet-août, signe que les longueurs d’avance ne s’obtiennent qu’au prix de certaines pirouettes ! Avec un bilan de 24 millions d’euros, le jeu est serré pour Artcurial Briest-Poulain-Le Fur, talonnée par les 23,8 millions de Piasa. La maison subit de plein fouet la concurrence des deux sociétés anglo-saxonnes sur ses terrains de chasse, l’art du XXe siècle et l’automobile de collection. Calmels-Cohen, qui avait bouleversé l’échiquier avec la vente Breton en 2003, retrouve des horizons plus mesurés avec 9,6 millions d’euros, dont 45 % sur le segment moderne et contemporain.

Saison « expérimentale »
Même si la France fait figure de nain à l’échelon international, le XXe siècle est visiblement le nerf de la guerre des commissaires-priseurs. Il représente déjà 20 % du chiffre de Christie’s au premier semestre, une performance redevable notamment aux 6,5 millions d’euros de la vente d’art latino-américain délocalisée à Paris. Cette saison fut d’ailleurs très « expérimentale » pour l’écurie de François Pinault qui s’est aussi attelée à une vente généraliste moderne et contemporaine (2,4 millions d’euros). Sotheby’s doit largement sa troisième place aux ventes Lescure (2,1 millions d’euros) et Nahon (8,7 millions d’euros). En mettant à l’œuvre leur réseau international, les auctioneers ont permis le succès de ventes qui semblaient déplacées ou suicidaires en France. Leur atout pour négocier les collections est dès lors de taille. Pour preuve la collaboration entre la SVV Bailly-Pommery-Voutier et Sotheby’s à l’occasion de la dispersion de la collection d’art moderne Mira Jacob (lire p. 32). Soit le contre-exemple de la vente Breton pour laquelle Calmels-Cohen avait tout mené de main de maître. Cheval de bataille d’Artcurial, qui réalise 50 % de son chiffre sur ce segment, l’art du XXe siècle sera aussi le fer de lance de Tajan. Le repli observé au premier semestre pourrait être comblé par les 6 à 7 millions d’euros escomptés avec la vente des néoromantiques et surréalistes du marchand Julien Levy. Pour faire progresser le moderne et contemporain, la nouvelle propriétaire américaine de Tajan, Rodica Seward, prône le rapprochement entre marchands et salles des ventes. Le 12 septembre, elle organisera un brunch avec des galeristes, parmi lesquels Daniel Templon, Thaddaeus Ropac et Marlborough Londres, sur le thème de « L’artiste et ceux qui le soutiennent ». Les marchands invités exposeront une ou deux pièces de leur écurie. Une initiative qui n’est pas sans rappeler l’exposition « Des arts plastiques… à la mode » organisée en 2000 par Christie’s France. Mais dans le fromage du 1,2 milliard de dollars que représente le marché moderne et contemporain à l’échelon mondial au premier semestre 2004, la part de la France n’est que de 6 % contre 43,7 % pour les États-Unis et 34,1 % pour la Grande-Bretagne. Faute d’une remise à plat improbable du droit de suite et d’un assouplissement de la fiscalité, la place hexagonale reste congrue.
Malgré quelques annonces pour la rentrée, les maisons continuent à naviguer à vue. D’après Georges Delettrez, président de Drouot Holding, les clients tendent à se décider dans un délai de 35 à 60 jours avant une vente. Pour ne pas perdre entièrement pied face à la grande artillerie des auctioneers, Drouot organisera des opérations de séduction au Canada du 9 au 13 septembre, et peut-être à Moscou, dès octobre, en partenariat avec La Gazette de l’hôtel Drouot. Les trois mousquetaires d’Artcurial cherchent leur d’Artagnan pour regagner des parts de marché. Avec une chute de plus 35 % ce semestre, la maison revoit sérieusement sa stratégie, qui passe par l’accueil en son sein d’un nouvel élément moteur. « C’est logique. L’hôtel Dassault est un outil surdimensionné pour nous », confie Hervé Poulain. Un projet de fusion avec Tajan a été évoqué puis infirmé. Les rodomontades ne sont pas de mise, même chez les auctioneers. Malgré deux collections en perspective dans le secteur des arts décoratifs du XXe siècle, notamment celle, le 27 octobre, d’un industriel américain ayant fait fortune dans l’informatique, Christie’s n’annonce aucun grand coup. François Curiel, qui a confié être en lice pour trois ensembles de goût classique, compte sans doute sur le carnet d’adresses d’Adrian Meyer, jeune transfuge de Sotheby’s recruté à la tête du département mobilier. Malgré son volontarisme, Christie’s reste d’ailleurs un vecteur d’exportation, le volume d’œuvres concernées dépassant d’environ 60 % le chiffre d’affaires de l’antenne parisienne en 2003.
Arc-boutée entre sa mission cardinale d’exportation et son souhait de vendre des collections en France, la position de Sotheby’s reste celle du funambule. Le climat parisien n’est pas aussi serein que le laisse supposer la progression de 71 % par rapport au premier semestre 2003. Deux de ses meilleurs business getters, Jean-Baptiste de Proyart, vice-président de Sotheby’s et responsable du département livres anciens, et Florence de Botton, directrice du département art contemporain, sont récemment partis sans être remplacés. Se pose aussi la question des ventes généralistes en tableaux anciens et en arts décoratifs du XXe siècle, aux résultats décevants cette saison. En guise de pichenette à l’antenne parisienne, les ventes londoniennes d’Art déco ne seront plus circonscrites à Olympia, mais siégeront aussi dans les locaux de prestige de New Bond Street. Le centre de gravité de Sotheby’s Europe reste Londres et non Paris. Un constat qui ne semble pas émouvoir le P.-D. G. de Sotheby’s France, Philipp de Wurtemberg : « Si j’arrive lors du prochain semestre à réaliser autant ou même moins que le chiffre du premier semestre, j’aurai atteint mon but. » Quoi qu’il en soit, la perspective d’une domination par le duo anglo-saxon de 60 % du marché parisien dans les cinq ans à venir, objectif susurré dans les couloirs de Christie’s, semble encore prématurée.

 (1) 1,25 milliard de dollars pour Christie’s contre 1,35 milliard de dollars pour Sotheby’s lors du premier semestre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Un marché parisien très disputé

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