Un collectionneur doit s’investir avant d’investir

Le Journal des Arts

Le 8 janvier 2008 - 434 mots

De même qu’un grand vin, une collection ne dévoile sa valeur et sa cohérence qu’avec le temps. Et aucune fortune, aussi considérable soit-elle, ne remplacera cela.
Tous les dix à quinze ans, le marché de l’art s’emballe avec les périodes de croissance économique, aujourd’hui avec l’essor des pays émergents. Dans ce contexte, quel regard porter sur le marché de l’art ? Chaque collectionneur a ses bonnes raisons de collectionner : aventure intime et passionnelle avec les oeuvres et leurs auteurs, posture sociale, mode, investissement, désir de possession, puissance et peut-être parfois un peu de tout cela. Mais que penser d’un subit intérêt pour l’art dans les périodes où le marché s’accélère ? Que penser de l’éclosion de ce petit monde qui écarte pour un temps ceux qui revendiquent une qualité de regard et de connaissance ? Soudain une faune s’intéresse à l’art et construit inconsciemment une étonnante tour de Babel dont la date d’effondrement est annoncée régulièrement. On ne décide pas de devenir collectionneur, on l’est. Quelques centaines d’artistes profitent de ce mouvement. Ils s’entourent d’assistants pour produire les mêmes oeuvres destinées... aux mêmes acheteurs. Les marchands perdent la tête et se prennent pour leurs clients. Le marché français n’en perçoit que des bribes, car ces affaires-là se traitent dans la langue de James Bond. Certains de ces opérateurs dépensent chaque mois l’équivalent du budget annuel du Musée national d’art moderne, et sont capables d’offrir 200 000 dollars pour un tableautin d’Elisabeth Peyton. Ils délaissent une oeuvre aussi vite qu’ils l’ont achetée et la revendent toujours à temps. Cet essaim d’étourneaux se rue d’un bloc sur les mêmes oeuvres, faisant les mêmes commentaires, se faufilant dans les « previews », pénétrant incognito dans les foires avant les inaugurations. Aveuglés par les paillettes, ces cavaliers n’ont plus que leurs oreilles pour acquérir des oeuvres. On ne parle jamais d’argent. On y pense sans cesse.
La collection est une utopie. Elle se définit par ses manques. Collectionner est avant tout un mode de vie qui ne se déroule pas exclusivement au sein du marché. Je n’en suis d’ailleurs pas un spécialiste et la valeur des oeuvres me préoccupe seulement au moment de les acquérir. Les artistes qui en sont absents peuvent y entrer demain et inversement. Un collectionneur doit s’investir avant d’investir. Art et argent sont le plus vieux couple du monde. Je suis moi-même souvent au coeur du marché, amusé par ces paillettes, perméable à la mode et à la spéculation, mais je croise aussi de merveilleux amateurs, qui chaque jour me donnent à voir, m’enseignent, me parlent des oeuvres, et tentent de me sauver.
 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°250 du 5 janvier 2007, avec le titre suivant : Un collectionneur doit s’investir avant d’investir

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