Un autre Lautrec

Art islamique et archéologie chez Me De Ricqlès

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 11 septembre 1998 - 684 mots

Oncle du peintre, le comte Odon de Toulouse-Lautrec a réuni à la fin du siècle dernier un ensemble de pièces d’art islamique, jusqu’alors inconnues des collectionneurs, qui seront mises en vente par Me De Ricqlès le 25 septembre à Drouot-Richelieu. Les 25 et 26 septembre, associé à Me Francis Briest, l’étude dispersera également des pièces d’archéologie égyptienne, mésopotamienne, romaine et grecque.

PARIS - Lors de leur séjour en Égypte en 1879, Odon de Toulouse-Lautrec (1842-1937) et son épouse Émilie ont côtoyé de grands érudits qui les ont initiés aux arts de l’Égypte musulmane, tels Gaston de Saint-Maurice (1831-1905), grand écuyer d’Ismâ’îl – sa collection est entrée au Victoria & Albert Museum, à Londres – , et le baron Alphonse Delort de Gléon (1843-1899), dont la veuve a légué les trésors au Musée du Louvre. Gagnés par la fièvre de collection qui régnait alors au Caire, le comte et la comtesse de Toulouse-Lautrec ont été parmi les premiers amateurs français à s’intéresser à l’art mamelouk et ottoman d’Égypte. De retour en France, profitant de la reconstruction de leur demeure seigneuriale de la Haichois, ils ont fait construire un petit salon oriental pour accueillir leur collection.

“C’est une collection d’origine prestigieuse. Elle n’a pas quitté la famille depuis le XIXe siècle”, souligne Marie-Christine David, du cabinet d’experts Soustiel. Parmi les pièces que dispersera l’étude De Ricqlès le 25 septembre, on remarquera un impressionnant plateau de 1,10 m de diamètre, estimé 800 000 à 1 million de francs, réalisé pour le sultan al-Nâsir Muhammad Ibn Qalâwûn, qui régna de 1294 à 1341 et fut l’un des plus grands mécènes de son temps : on lui doit la commande d’objets de très grande valeur aujourd’hui conservés dans d’importantes collections publiques et privées. Le plateau, au rebord festonné en laiton incrusté d’argent et ciselé, offre un décor de cartouches et de médaillons. Dans la rosace centrale, une extraordinaire iconographie met en scène six phénix aux ailes déployées, un dessin typiquement persan qui sera développé chez les Moghols.
Autre pièce phare de la collection, un grand flambeau en laiton moulé haut de 52 cm, estimé 120-180 000 francs. Sur l’un des sept cartouches de la partie centrale du fût est inscrit le nom Abd al-Rahîm Khân (1556-1627), homme d’état, général en chef , savant et poète. “Ce flambeau, bien que représentant un décor et une iconographie persane de la période safavide, pourrait appartenir à l’Inde moghole, en raison du nom d’Abd al-Rahîm Khân qui y figure”, précise Jean Soustiel.

Chefs-d’œuvre de la calligraphie arabe
Un Moraqqa’ impérial de l’ancienne collection Neville-Shuterland-Levison-Gower est estimé 600-800 000 francs. Commandé par l’empereur moghol Jahângir, qui régna de 1605 à 1627, et achevé sous le règne d’Aurangzêb (1658-1707), il renferme 99 textes coraniques par des maîtres de la calligraphie arabe du XIIIe au XVIIe siècle, parmi lesquels huit des artistes les plus renommés du monde oriental, tels Yâqut-e Mosta’sami et Abd-allâh Seyrafi. Les calligraphies sont montées en vis-à-vis, par groupe de deux, quatre ou cinq, formant ainsi trente diptyques.

Seront encore mises en vente des faïences et céramiques, dont un grand plat de Lakabi au sphinx, estimé 200-250 000 francs. Provenant de Mésopotamie et datant du XIIe siècle, il appartient à la série des fabrications médiévales islamiques du Proche-Orient. Cette céramique à pâte siliceuse présente un décor émaillé bleu turquoise, bleu de cobalt et brun violet de manganèse.

Les 25 et 26 septembre, l’étude De Ricqlès et Me Francis Briest, assistés de l’expert Jean-Philippe Mariaud de Serres, organisent également une vente d’archéologie égyptienne, mésopotamienne, romaine et grecque. Elle comprend un ensemble de vases grecs en terre cuite, dont une amphore à figures noires (50-70 000 francs), mais aussi un grand candélabre étrusque (300-350 000 francs) doté d’une base tripode en forme de pattes de félin. Au sommet, un discobole nu tient son disque le long du corps. La musculature est rendue avec un grand souci de réalisme, comme dans le torse de la déesse Aphrodite (600-700 000 francs), représentée nue, légèrement penchée en avant, un simple drapé lui cachant le pubis. Le marbre blanc à grain fin d’une grande translucidité lui confère une carnation diaphane.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : Un autre Lautrec

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