Un automne euphorique

Un Guardi crée la surprise à Drouot : père ou fils ?

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 1044 mots

L’automne sied au marché français, qui a été particulièrement euphorique ces dernières semaines. Collectionneurs et marchands sont venus de toute l’Europe pour assister aux grandes ventes de Drouot, qui n’avaient pas connu depuis longtemps de tels parterres, particulièrement lors des vacations de tableaux anciens, marquées par quelques enchères exceptionnelles. Les prix des meubles Art déco, suivis par ceux des créations des années quarante et cinquante, n’en finissent pas de flamber.

PARIS - Le marché français des tableaux anciens poursuit sa progression, amorcée au cours de l’année 1998 qui avait vu une toile du Maître de la Passion de Karlsruhe, La Flagellation du Christ, partir à 30 millions de francs en décembre et une Nature morte aux plats d’huîtres, écrevisses, olives, châtaignes d’Osias Beert à 4,6 millions de francs en juin. Ce même peintre flamand, l’un des premiers à faire de la nature morte un genre à part entière, a effectué une retour très remarqué à Drouot le 8 décembre. Une Nature morte aux trois vases de fleurs disposés sur un entablement, présentée par Éric Turquin dans une vente organisée par l’étude Piasa, a quadruplé son estimation à 13,4 millions de francs, établissant un nouveau record mondial pour le peintre. “J’avais établi une estimation faible parce que le tableau n’était pas signé, présentait plusieurs défauts et n’avait jamais été publié. C’était une vraie découverte”, se défend Éric Turquin. Résultat encore plus surprenant pour une Vue de la Salute attribuée à Giacomo Guardi (1764-1835), qui a pulvérisé son estimation de 80-120 000 francs pour s’envoler à 9,9 millions de francs. Ce tableau, acquis par Georges de Jonckheere contre Maurice Ségoura, est à rapprocher d’une toile de Francesco Guardi, père de Giacomo, conservée au Musée Toulouse-Lautrec à Albi. “Je ne comprends pas que ce tableau ait pu partir à un tel prix, remarque Éric Turquin. Dario Succi, le spécialiste de Guardi, pense que ce n’est pas un Francesco Guardi, et au mieux un Giacomo Guardi qui aurait pu être exécuté entre 1795 et 1800. Le marché est en pleine ébullition, les enchères atteignent des sommets inquiétants qui me rappellent la fin des années quatre-vingt.” Georges de Jonckheere affirme avoir déjà reçu plusieurs appels émanant d’acquéreurs potentiels. “C’est une très bonne œuvre. Je suis ravi de l’avoir achetée, affirme le marchand. Elle devrait réserver une réelle surprise une fois nettoyée.” Dans la même vente, une huile sur cuivre argenté de petit format (11,5 x 16,5 cm) de Jan Van der Heyden (1637-1712), estimée 200-300 000 francs, a été adjugée 1,3 million de francs à une galerie parisienne. Quelques semaines plus tôt, Couple de paysans attaqués par des brigands, un panneau de chêne de 26 x 33 cm, attribué à Pieter Bruegel le Jeune, s’était vendu 1,7 million. Enchère exceptionnelle également pour un dessin de Jean-Baptiste Greuze, Étude de tête pour la mère bien-aimée, qui a décuplé son estimation à 2,8 millions de francs.

Sargent et de Smet
Pas de record mais excellents résultats pour deux tableaux de John Singer Sargent provenant directement de la famille Pailleron, Édouard Pailleron Junior et Madame Édouard Pailleron, partis respectivement à 3,2 et 1,9 million de francs, le 22 novembre, sous le marteau de Me Buffetaud. Un Vase de fleurs, peint en 1883 par Henri Fantin-Latour, a été adjugé 2 millions de francs après une vive bataille d’enchères. Prix élevé encore pour Les Forains (1928) de Gustave de Smet, vendu 1,7 million de francs.

Même climat euphorique lors de la dispersion de la collection de l’industriel et collectionneur Gildas Fardel par l’étude Leroux-Morel, du 1er au 3 décembre. Les œuvres de Julio González, dont la cote continue de monter depuis la vente de la collection Hartung à Londres, le 30 juin, ont pulvérisé leurs estimations : Maternité au rectangle (1934), un fer forgé soudé estimé 1 million de francs, a atteint 6,2 millions de francs. Personnage allongé I (vers 1936), un bronze forgé, s’est envolé à 5 millions de francs. Une aquarelle de Kandinsky est partie à 1 million de francs et deux huiles de Hans Hartung à plus de 600 000 francs. Bon résultats aussi pour les sculptures : une Tête de femme de Constantin Brancusi a fait 3 millions de francs, le 19 novembres dans une vente menée par l’étude Couturier, Nicolay, et un bronze de Rembrandt Bugatti, Grand tigre royal, une fonte à la cire perdue signée et numérotée, a été adjugée au même prix, le 6 décembre à Drouot Montaigne, par Me Kohn.

Cette ambiance enthousiaste s’est propagée au secteur des manuscrits et autographes. En témoigne la forte enchère portée sur un ensemble de dix lettres et billets autographes en russe, daté du 6 septembre 1779, extrait de la correspondance amoureuse de Catherine II de Russie avec son amant Ivan Nicolaievitch Rimsky-Korsakov, adjugé 320 000 francs le 16 novembre par l’étude Beaussant-Lefèvre. Et le 24 novembre, un manuscrit autographe signé de Marcel Proust, À propos du style de Flaubert, a triplé son estimation à 950 000 francs.

Le style Art déco poursuit sa fulgurante ascension. Le 25 novembre, à Drouot Montaigne, la vente de meubles et objets Art déco et Art nouveau organisée par l’étude Millon a totalisé un produit de près de 20 millions de francs.  Vedette de la vacation, un siège curule de Pierre Legrain, d’inspiration africaniste, issu des collections Doucet et Manoukian, a été adjugé 4,5 millions de francs, un record mondial pour le créateur. Une cave à liqueur Nicolle d’Émile-Jacques Ruhlmann, estimée 1,3 à 1,5 million de francs, s’est vendue 4 millions de francs, confirmant, un mois après par la vente Hebey, la très forte cote de cet ébéniste. Le mobilier des années quarante et cinquante connaît, dans le sillage de l’Art déco, une forte progression. Une commode basse gainée de parchemin exécutée par Arbus est partie à 344 000 francs le 25 novembre chez Me Millon ; une paire de lampes de table en céramique beige de Jean-Michel Frank à 344 000 francs, et un bureau gainé de parchemin de Paul Dupré-Lafon à 555 000 francs. À l’Espace Tajan, le 22 novembre, les arts décoratifs du XXe siècle avaient déclenché une véritable frénésie chez les collectionneurs. La cote montante de Paul Dupré-Lafon s’est confirmée : une commode gainée de cuir a été adjugée 2,6 millions de francs et un bureau à plateau rectangulaire 1,5 million.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Un automne euphorique

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