Galerie

ART CONTEMPORAIN

Tania Mouraud, leçon d’humanisme

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 688 mots

Les lettres et les mots forment toujours le vocabulaire plastique de l’artiste, qui les fait résonner subtilement avec l’Histoire dans des photos et vidéos présentées à la galerie Rabouan Moussion.

Paris. S’il n’y avait cette toute petite machinerie, aperçue dans l’image, on pourrait croire aisément que l’œuvre de Tania Mouraud est une peinture abstraite. Elle en présente en effet tous les aspects : balayage de tonalités grises dans la partie supérieure, plages d’ocres rythmées au premier plan… Mais il s’agit d’une photographie. Et si l’image est très belle, la réalité l’est moins. La photo, qui fait partie d’une série récente (2014-2015) intitulée « Balafres » (neuf sont présentées à la galerie Rabouan Moussion sur les quatorze qui la composent au total), a été prise en Allemagne, dans la Ruhr entre Cologne et Düsseldorf, sur un site d’extraction de lignite (un minerai polluant). Une fois l’exploitation achevée, l’endroit deviendra une base de loisirs avec petits lacs comme celui figurant dans un coin de l’image.

C’est également de chaos dont il s’agit dans une œuvre très différente, From Chaos to Art (« Du chaos à l’art », 2017), mots empruntés à Leonard Cohen et que Tania Mouraud déforme en mélangeant le plein des lettres (en noir) et le vide (en blanc) qui les composent pour donner corps à un puzzle complexe. Le mot « art » se retrouve sur un autre mur, écrit en lettres déstructurées noires et en relief. Il ne se donne pas au premier coup d’œil, il faut le deviner, le déchiffrer. Des lettres et des mots on en lit encore dans cette série d’impressions numériques qui déclinent en plusieurs langues (en chinois, en russe, en arabe, en hébreu…) le fameux « I have a dream » de Martin Luther King. En noir sur fond blanc, les différentes écritures alternent les arabesques et les compositions géométriques de bâtonnets verticaux. Ces derniers établissent un lien indirect avec d’autres lignes, épaisses et horizontales celles-ci, comme une suite de tirets, qui ponctuent une étonnante série de photos, « Backstage » (2013), prises à Arromanches (Calvados). Si leur sujet n’est pas immédiatement identifiable, tout s’éclaire lorsqu’on apprend que ces barres noires aux allures de blockhaus plats qui semblent flotter sur l’eau sont les parties émergées du port artificiel que les Anglais avaient installé au beau milieu de la Manche pendant la Seconde Guerre mondiale, pour le ravitaillement des troupes. L’histoire manque d’autant moins de sel lorsqu’on sait que personne à l’époque ne croyait à cette histoire de barges née dans la tête d’un jeune ingénieur qui voulait les acheminer de la Tamise jusqu’à leur destination. Personne sauf un certain Churchill.

Ailleurs, c’est de l’océan dont il s’agit, du Pacifique, dans la vidéo Ad Infinitum (2008) pour laquelle Tania Mouraud est allée filmer de très près une baleine et son baleineau, en Californie du Sud. Avec un splendide travail sur les noirs, les reflets, les mouvements des vagues et de l’animal, le film ne manque pas de souffle…
 

Une vidéo à 75 000 euros

À première vue l’ensemble peut sembler disparate. Mais l’accrochage est plus construit qu’il ne paraît, les œuvres s’enchaînent telle une concaténation et évoquent tous les thèmes qui dominent l’œuvre de Tania Mouraud depuis de nombreuses années : la place de l’homme dans la nature ; sa conscience et sa responsabilité face au monde – dans les destructions qu’il cause en particulier ; la prise en compte de l’Histoire, passée comme celle qui est en train de s’écrire. Une belle réflexion humaniste en quelque sorte.

À supports, tailles et médiums différents, correspondent des prix très variés, qui vont de 100 euros pour une sérigraphie tirée à 100 exemplaires à 75 000 euros pour la vidéo produite en trois exemplaires, dont le premier a été acquis par Suzanne Pagé pour la Fondation Louis Vuitton et l’autre par la Fondation Bernard Magrez. Belles références. Entre ces deux cotes, le prix moyen d’une œuvre tourne autour de 15 000 euros, ce qui n’a rien d’excessif pour une artiste majeure de l’art contemporain français (née en 1942) qui n’avait pas eu d’exposition en galerie depuis sept ans et qui s’est vue consacrée par une rétrospective au Centre Pompidou-Metz au printemps 2015.

 

Tania Mouraud, From Chaos To Art,
jusqu’au 25 novembre, galerie Rabouan Moussion, 11, rue Pastourelle, 75003 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Tania Mouraud, leçon d’humanisme

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque