Tajan et Phillips main dans la main

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2000 - 1169 mots

Trois mois après avoir racheté Phillips, Bernard Arnault s’intéresse à l’étude Tajan, première étude française avec un chiffre d’affaires de 467 millions de francs en 1999. Les deux maisons de vente, qui devraient rapidement fusionner, pourraient ouvrir de nouveaux bureaux en Europe et aux États-Unis, et multiplier leurs ventes aux enchères sur l’Internet. Jacques Tajan évoque les perspectives de développement de son étude, désormais intégrée à un ensemble plus vaste.

À quand remontent vos premiers contacts avec Bernard Arnault ?
À partir du moment où LVMH a racheté Phillips, des proches m’ont incité à me rapprocher de Bernard Arnault. Ce qui s’est fait. J’ai toujours été partisan de m’associer avec des gens qui n’exercent pas mon métier, qui ont une vision et des compétences en matière de stratégie, de marketing, d’analyse financière, et une véritable perspective internationale. Je n’ai pas recherché le plus “donnant” en matière financière.

La transaction est-elle définitive ?
Elle l’est, mais elle prendra effet après la promulgation de la loi réglementant les ventes publiques.

Phillips a été rachetée pour l’équivalent de 700 millions de francs. Qu’en est-il du montant de la transaction réalisée avec l’étude Tajan ?
Phillips est une grande maison, la troisième au monde. Moi, je ne me place qu’au cinquième ou sixième rang.

Quelle forme prendra le rapprochement entre Phillips et l’étude Tajan ?
Nous allons travailler la main dans la main avec Phillips ; chacune des maisons fera profiter l’autre de ses propres atouts. Nous pourrions par exemple organiser des ventes communes à New York et ainsi contourner les pesanteurs de la fiscalité française. Un Japonais souhaitait me confier des tableaux modernes importants, parmi lesquels figuraient des Vlaminck, Utrillo et Kisling, pour une valeur totale estimée à 40 millions de francs, afin de les vendre à Paris. Au moment de réaliser le projet de convention, j’ai dû lui préciser qu’il allait devoir payer la TVA à l’importation et le droit de suite, soit une surcharge fiscale se traduisant par une ponction de 2,8 millions de francs. Ce client a renoncé à me confier ses œuvres ; elles ont été vendues à New York. Si ce cas de figure se représentait, je pourrais désormais confier ces tableaux à Phillips.

Qu’en est-il de la complémentarité entre les deux maisons de vente ?
C’est une complémentarité géographique [ndlr : Phillips est bien implantée au Royaume-Uni et dispose de salles de vente aux États-Unis ; Tajan est la première étude française], mais aussi stratégique. L’étude Tajan couvre un plus grand nombre de spécialités, et le prix moyen des objets que nous vendons est supérieur à celui de Phillips. En joignant financièrement nos efforts pour ouvrir des bureaux à l’étranger, nous serons certainement mieux organisés et plus efficaces. Nous pourrions, à terme, envisager de regrouper nos objets dans des ventes communes.

Allez-vous aboutir à une fusion et, si oui, à quelle échéance ?
J’espère qu’elle interviendra dans un laps de temps très court. Sinon, nous risquons d’être mis en compétition par nos clients.

Phillips cherche un nouveau siège social à Paris. Envisagez-vous de les rejoindre et de vous installer dans des locaux communs ?
Je le souhaite. Cela pourrait se faire rapidement. J’ai ici une équipe de qualité composée d’une soixantaine de personnes. Je vais privilégier leur incorporation dans le nouveau système.

Quelles vont être les conséquences concrètes du rachat de l’étude par LVMH ?
Notre rayonnement international va se trouver facilité par ce partenariat. Nous allons ainsi pouvoir  moderniser l’étude. La force de frappe de LVMH en matière de marketing et de communication constituera un atout supplémentaire. Nous aurons peut-être la possibilité d’exposer dans des locaux de Phillips ou de LVMH à l’étranger. Nous pourrons aussi bénéficier de conseils financiers et fiscaux qui profiteront tant à l’étude qu’à notre clientèle. Nous bénéficierons sans doute de moyens financiers supplémentaires qui devraient nous permettre d’ouvrir des bureaux en province et à l’étranger. Nous pourrions nous implanter en l’Italie – les Transalpins représentent 10 à 15 % de nos clients – et ouvrir des bureaux à Milan et à Rome, conjointement avec Phillips. Nous pourrions aussi nous installer en Allemagne, ou nous associer avec une maison allemande et fusionner avec elle. Aujourd’hui, une entreprise doit avoir une ouverture sur les États-Unis pour se développer. Je regrette que mes confrères ne l’aient pas compris il y a trente ans, quand Park Bennett était à vendre. En France, nous pourrions nous associer avec d’autres confrères parisiens ou provinciaux, ou ouvrir nous-mêmes des bureaux à Lyon, Toulouse, Marseille, Bordeaux ou Nice par exemple. On pourrait tendre une sorte de toile d’araignée sur un territoire plus vaste. J’encouragerai aussi LVMH à prendre des participations et à racheter d’autres maisons de vente.

Bernard Arnault mise sur l’Internet en investissant à tout va par l’entremise d’Europ@web. Quelles retombées en attendez-vous ?
C’est enthousiasmant. Nous devrions bénéficier de facilités techniques et financières pour développer les ventes sur l’Internet, qui constituent un champ formidable d’ouverture sur le monde. C’est le rêve : être présent partout et pouvoir se passer de l’étape fastidieuse de l’envoi des catalogues. Aujourd’hui, 50 % des objets importants vendus en salle le sont par téléphone. La prochaine étape se fera sur l’Internet. Nous pouvons rassurer les clients réticents en leur envoyant des rapports sur la condition des œuvres proposées à la vente sur le Net.

L’Internet ne présente-t-il pas d’autres avantages pour les commissaires-priseurs ? Il n’y a pas de procès-verbal de vente, pas d’obligation de publier les résultats. Les objets pourront être représentés sans être “grillés” s’ils n’ont pas été vendus.
L’Internet est un moyen de délocaliser les ventes. Si les contraintes réglementaires ou fiscales devenaient trop pesantes, nous pourrions relocaliser nos ventes au Luxembourg, ou ailleurs, tout en présentant les lots à Paris sur un grand écran que nous pourrions installer dans un grand hôtel de la capitale. Le lieu de vente et la fiscalité relèveraient des règles en vigueur dans le pays choisi. S’agissant de l’after-sale, il m’est reproché par la justice française d’avoir cédé de gré à gré, après la vente, une sculpture de Giacometti. C’est une pratique qui est autorisée dans le monde entier, depuis toujours, et à laquelle ont recours tous les commissaires-priseurs français.

Une réunion de l’International Auctioneer s’est tenue à Sydney en février. Qu’avez-vous décidé ?
Un constat d’abord. Grâce à cette structure regroupant neuf maisons de vente, forte d’un fichier clientèle de 350 000 noms, nous avons développé le nombre d’acheteurs étrangers intervenant dans nos ventes. Nous avons décidé d’investir dans un moteur de recherche. Grâce à cet outil, nos clients pourront rechercher par exemple un pare-feu dans les catalogues de vente des neuf maisons. Nous allons par ailleurs organiser conjointement, le 7 juin, une grande vente de tableaux modernes qui se déroulera simultanément dans neuf pays et sera retransmise sur une chaîne de télévision privée par satellite. Les clients pourront enchérir depuis chez eux.

eBay semblait, elle aussi, intéressée par le rachat de votre étude.
eBay souhaite acquérir des maisons de vente pour proposer sur son site des pièces de qualité. Ils peuvent être intéressés par l’ensemble des maisons qui composent l’International Auctioneer.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°100 du 3 mars 2000, avec le titre suivant : Tajan et Phillips main dans la main

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