Succès pour les éditions limitées

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 25 juin 2015 - 713 mots

Après avoir été longtemps boudées en France, les éditions limitées retrouvent une seconde jeunesse à la faveur d’un marché porté par les ventes spécialisées et de nouveaux salons.

Un Rubik’s Cube signé Claude Closky, une molaire en laiton massif de David Shrigley, une pizza et des assiettes en céramique par les artistes Lamarche-Ovize, mais également un néon de Claude Lévêque, des gravures de Georg Baselitz, des sérigraphies de François Morellet… Pour sa première édition, du 22 au 24 mai dernier, MAD, le salon des objets d’art multipliés qui se tenait à la Maison rouge, affichait sa volonté de toucher un large public, susceptible de trouver son bonheur « entre 20 et 20 000 euros ». Après les ventes spécialisées organisées avec succès – « Evening and Day Editions » chez Phillips à Londres (22 janvier), la vente inaugurale « Limited Editions » à Paris chez Piasa (29 avril) et la troisième session pour Artcurial (19 mai) –, qui faisaient suite au lancement de SOON, le Salon de l’œuvre originale numérotée en décembre 2014, MAD, créé à l’initiative de Sylvie Boulanger (directrice du Cneai) et de l’éditeur et maître imprimeur Michel Woolworth, est l’une des dernières manifestations d’un phénomène récent, l’engouement pour les œuvres d’art en édition limitée. Et la vague déferle cet été jusqu’au premier étage des Galeries Lafayette où « Idées multiples », l’exposition de la Galerie des galeries, met en scène de façon ambitieuse une sélection d’éditions de One Star Press (John Armleder, Daniel Gordon, Jonathan Monk…) en regard de décors mélangeant la mode et le design. Un travail sur les correspondances et une volonté, selon Elsa Janssen, la directrice de l’espace, de suggérer que « les œuvres sont des objets de désir : l’art s’achète ; il sera possible de repartir avec l’œuvre de son choix pendant toute la durée de l’exposition. »

Faire ses gammes
Gravures, estampes, mais aussi stickers, vidéos, vaisselle…, le multiple est-il un (sous)-produit dérivé du marché de l’art ? « En France, à la différence par exemple de l’Allemagne, on a longtemps boudé les éditions d’art, moins bien considérées que les œuvres originales », rappelle Arnaud Oliveux, commissaire-priseur chez Artcurial. Dans les années 1960, c’est dans une relative indifférence que Denise René, désireuse de rendre accessible la création contemporaine, initia le mouvement en présentant boulevard Saint Germain des multiples et des éditions des artistes cinétiques de la galerie. Un demi-siècle plus tard, alors que Piasa enregistrait un record d’enchères avec Esfera Theospacio, une œuvre de Soto adjugée à 63 800 euros, on ne peut qu’être frappé par le développement exponentiel des micro-éditeurs apparus sur le marché. Leur nombre témoigne du dynamisme de ce secteur mais également d’une autre réalité économique et sociale, puisque « la plupart cumulent plusieurs activités, graphistes, parfois artistes », remarque Sylvie Boulanger.
« Œuvres-média » selon l’expression de la directrice du Cneai, les objets d’art multiples ont avant tout vocation à être diffusés, sans toujours trouver cependant de circuit adapté. Sur MAD, en dehors des éditeurs ou des galeries spécialisées comme la Galerie des multiples, de nombreux marchands se félicitaient ainsi d’avoir l’occasion de sortir de leurs réserves des éditions difficiles à montrer dans le cadre de leur programmation habituelle. Le salon, au-delà des amateurs éclairés, visait d’ailleurs un public « hybride », « des gens qui aiment le contemporain : l’art, la musique, la mode… Les nouveaux esthètes. » Plus d’éditeurs donc, mais aussi clairement beaucoup plus de gens qui s’intéressent à l’art. « Posséder une ou deux œuvres, cela fait désormais partie des achats culturels », estime l’artiste Mathieu Mercier, présent avec un stand sur MAD et également curateur de la vente « Limited Editions » de Piasa en avril, pour laquelle il avait imaginé une scénographie et un catalogue faisant dialoguer les œuvres entre elles, comme elles auraient pu le faire dans l’appartement d’un particulier. « Acheter des multiples, c’est une façon de pouvoir faire des gammes lorsqu’on commence une collection », estime-t-il.

Installées sur un podium lors de la vente Artcurial, les céramiques de Picasso, les sculptures d’Arman et de César jouaient également sur la mise en relation des œuvres les unes avec les autres. Reste que c’est le frisson provoqué par un casting d’artistes en vue qui conférait à la vente sa dimension excitante : Jeff Koons, Damien Hirst, Andy Warhol, Francis Bacon…, des œuvres signées de stars du marché, parfaitement identifiables et soudain abordables pour quelques milliers d’euros. « Les gens achètent les artistes qui les font fantasmer », résume Arnaud Oliveux. 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Succès pour les éditions limitées

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