Art impressionniste et moderne

Succès attendu pour Cézanne et Degas

Le Journal des Arts

Le 5 mars 2004 - 1276 mots

Les acheteurs européens ont été nombreux lors des grandes ventes d’art impressionniste et moderne du mois de février à Londres. L’offre a été riche et, malgré quelques déceptions, les records ont suivi.

 LONDRES - Dans le contexte d’un euro fort face au dollar, les européens ont montré leur force de frappe lors des grandes ventes d’art impressionniste et moderne à Londres. Les collectionneurs privés sont repartis avec la plupart des lots majeurs chez Sotheby’s et Christie’s.
Alors que les récentes statistiques confirmaient le retrait du marché de l’art international en 2002-2003, pour cause d’épidémie de SRAS et de guerre en Irak, nombreux étaient ceux qui guettaient des signes de reprise. Les ventes qui se sont tenues à New York avant Noël, bien que fortement spéculatives, laissaient présager une réussite. Celles du mois de février à Londres ont conforté cette impression de retour de la confiance, et ce en dépit de la faiblesse du dollar.

Christie’s
Le 2 février, les spécialistes de Christie’s semblaient clairement soulagés après l’adjudication de la pièce majeure de la soirée, Grand bouquet de fleurs (1892-1895), de Paul Cézanne. Provenant d’une collection privée japonaise, l’huile sur toile a été vendue pour 4 485 250 livres sterling (6 651 671 euros) à un enchérisseur au téléphone.
Ce succès a quelque peu tempéré la déception liée à l’échec de La Danse (1938), un collage d’Henri Matisse estimé entre 3 et 4 millions de livres et qui a été ravalé. Le Portrait de Jeanne Hébuterne d’Amedeo Modigliani, estimé entre 5 millions et 7 millions de livres, a subi le même sort, et il est probable que ces œuvres aient été victimes de l’absence d’enchères américaines. Jussi Pylkkänen, spécialiste chez Christie’s, a confirmé peu après la vente que le Modigliani disposait d’une garantie et a reconnu que les estimations étaient peut-être trop « agressives » compte tenu de la chute du dollar. « Une fois arrivé à 5 millions de dollars [3,9 millions d’euros], l’air devient lourd, et vous devez vous montrer prudents », nous a-t-il confié, avant d’ajouter : « elles [les œuvres] seront toutes vendues demain si nous choisissons de nous en défaire. »
Pablo Picasso, toujours très présent dans les ventes publiques, a obtenu des résultats en dents de scie. Christie’s a réussi à vendre de justesse son Buste de femme (Dora Maar) (1942) pour 2 805 250 livres (4 160 254 euros) à un marchand européen. Avec une estimation entre 2,5 et 3,5 millions de livres, cette vente représente néanmoins une perte aux yeux de la compagnie d’assurance Israel Phoenix, qui avait acquis la pièce chez Christie’s en 2001 pour 3,08 millions de livres. Adjugé 2 469 250 livres (3 662 004 euros) à un collectionneur privé européen, le Zeitungsleser II (1916) de Lyonel Feininger est l’un des records les plus remarqués de la vente. « Je doute que vous en trouviez un meilleur que celui-ci », a déclaré Jussi Pylkkänen.
La participation européenne, privée et professionnelle, était grande lors de la vente surréaliste qui s’est déroulée en deuxième partie de soirée. Le marchand londonien David Nahmad a fiévreusement et continuellement enchéri pour les œuvres de Joan Miró.
La Fuite (1942), une huile sur toile de Max Ernst, a signé une jolie performance : adjugée à un acheteur privé européen pour 990 850 livres (1 469 452 euros), elle s’est vendue le double de son estimation. Convertie en monnaie américaine (1 853 000 dollars), cette somme représente plus de quatre fois le prix du tableau, acheté chez Sotheby’s New York en mai 1996 (453 500 dollars). Établi chez Christie’s Londres en février 2003, le record actuel de l’artiste se situe à 996 650 livres.
Vendu pour 990 850 livres (1 469 452 euros), Le Retour (1950) de René Magritte était un autre temps fort de la soirée consacrée à l’art surréaliste chez Christie’s. Proposée à la vente par un marchand européen, cette huile sur toile illustre un oiseau, formé de nuages, volant au-dessus de l’océan. Selon le spécialiste Olivier Camu, ce tableau est issu de « la période au cours de laquelle Magritte est au sommet de son lyrisme et de sa poésie. » Estimée entre 400 000 et 600 000 livres, l’œuvre a tout simplement « pris son envol ».

Sotheby’s
Lors de la soirée suivante, le 3 février, Sotheby’s organisait une vente en trois parties : art impressionniste et moderne ; art allemand et autrichien ; art surréaliste. Les enchères européennes ont à nouveau dominé. La Petite danseuse de quatorze ans d’Edgar Degas s’en est allée chez un collectionneur privé, présent dans la salle, pour 5 045 600 livres (7 483 444 euros). Auparavant dans la collection de l’ancienne ambassadrice des États-Unis en France, Pamela Harriman, cette danseuse apparaissait pour la première fois dans une vente aux enchères.
Le paysage signé Claude Monet, Vétheuil, après-midi d’automne (1901) est parti entre les mains d’un enchérisseur au téléphone pour 2 749 600 livres (4,08 millions d’euros), après un duel avec le marchand new-yorkais Nicholas Acquavella, présent dans la salle. Le Nu aux bras levés de Balthus (1951) a également été adjugé à un client au téléphone, pour 2 021 600 livres (2 998 287 euros).
Parmi les invendus : un dessin néoclassique au crayon et au fusain par Picasso, L’Italienne à la cruche, délaissé à cause d’une estimation trop optimiste située entre 1 et 1,5 million de livres ; une huile sur toile d’Edvard Munch, Two Nurses (1909), estimée entre 1,5 et 2 millions de livres, et le Nu assis et joueur de flûte (1967) de Picasso, estimé la même somme. Directeur du département d’art impressionniste et moderne au niveau européen, Philip Hook explique cet échec en estimant que « l’œuvre tardive de Picasso est en pleine réévaluation ».
La vente d’art allemand et autrichien a ensuite débuté avec les enchères soutenues d’un collectionneur privé européen. Par le biais de Melanie Clore au téléphone, il a fait l’acquisition, en l’espace de quelques minutes, de cinq des plus importants lots de la soirée. Acquise dans les années 1920 par la famille du propriétaire, Mädchen mit Grüner Schürze (1910) d’Egon Schiele faisait sa première apparition sur le marché. Estimée entre 500 000 et 700 000 livres, l’aquarelle et gouache sur papier s’est vendue 1 517 600 livres (2 250 936 euros). Deux minutes plus tard, le même acheteur s’est offert une seconde aquarelle et gouache sur papier signée Schiele, Porträt von Frau Dr. Horak, pour 100 800 livres (149 478 euros) et, peu après, une huile sur toile de Lyonel Feininger, Diabolospielerinnen I (1909), pour 1 103 200 livres (1 635 921 euros). Ce dernier tableau, estimé entre 1,2 et 1,6 million de livres, était le seul lot disposant d’une garantie chez Sotheby’s. Adjugée 812 000 livres (1 204 000 euros) à un client dans la salle, Walchensee, Morgennebel (1924) a établi un nouveau record pour une huile sur toile de Lovis Corinth.
La vente surréaliste organisée par Sotheby’s en fin de soirée ne proposait pas d’œuvres de la qualité du Ernst et du Magritte vendus chez Christie’s. L’huile sur toile de Picasso, Monument : tête de femme (1929), a ainsi été placée au sommet de la liste des prix ; elle a été cédée au marchand new-yorkais Richard Feigen, présent dans la salle, pour 901 600 livres (1 337 038 euros).
La compétition était féroce pour décrocher le célèbre ready-made de Man Ray, Indestructible Object, un métronome orné de la photographie d’un œil. Réalisée en 1959, cette réplique unique avait été acquise par son propriétaire directement auprès de l’artiste en 1962. Estimée entre 15 et 20 000 livres, l’œuvre a été adjugée 74 400 livres (110 329 euros) à un collectionneur privé présent dans la salle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Succès attendu pour Cézanne et Degas

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