Sotheby’s disperse trois importantes collections

Le Journal des Arts

Le 6 novembre 1998 - 844 mots

Sotheby’s met en vente à New York, les 16 et 17 novembre, d’importants tableaux impressionnistes et modernes provenant de la collection d’entreprise du Reader’s Digest, de celle de Mildred et Herbert Lee, ainsi que la collection Morton G. Neumann. Les résultats seront-ils compromis par le climat d’incertitude économique qui affecte actuellement le marché new-yorkais ?

NEW YORK (de notre correspondante) - Avec la crise financière au centre de toutes les préoccupations, le moral à New York n’est pas au beau fixe. Les courtiers en immobilier de l’Upper East Side estiment que les prix ont baissé de 10 %. Merril Lynch, l’une plus grandes maisons de courtage au monde, vient d’être contrainte de licencier 3 400 personnes. Et si l’on en croit la rumeur, le géant Lehman Brothers pourrait bien déposer son bilan d’ici peu. Or, ceux qui peinent aujourd’hui à Wall Street sont aussi les plus gros acheteurs en salle de vente.

Les résultats des prochaines vacations de Sotheby’s en seront-ils affectés ? Les 16 et 17 novembre sont prévues d’importantes ventes de peinture impressionniste et moderne. Elles comportent une sélection de tableaux provenant de la collection du Reader’s Digest, longtemps considérée comme l’une des plus grandes collections d’entreprise. Estimés 100 millions de dollars (environ 550 millions de francs), les 39 tableaux sont mis aux enchères en raison des caprices de la Bourse. Les œuvres sont magnifiques, notamment deux portraits de Jeanne Hébuterne peints par Modigliani en 1918 et 1919. Leurs lignes sinueuses et leurs couleurs élégantes résument à elles seules le style du peintre. Nu assis au collier s’était vendu au prix record de 12,4 millions de dollars chez Christie’s en 1995.
Cette vente témoigne des difficultés économiques auxquelles le géant de l’édition doit faire face. L’action Reader’s Digest a perdu plus de 50 % par rapport à sa cote de 1995 ; à la mi-octobre, elle était tombée à 16 dollars. Devant une collection d’entreprise riche de quelque 8 000 œuvres d’art assurées pour 125 millions de dollars, les actionnaires sont fondés à se poser des questions. Thomas Ryder, récemment nommé président-directeur général, déclarait dans le New York Times du 29 juin : “Notre société va subir de fortes pressions – et c’est inévitable – pour que nous gérions avec réalisme notre riche collection d’art. Notre trésorerie a été amputée de plusieurs millions de dollars au cours des dernières années”. C’est pourquoi les tableaux sont aujourd’hui sacrifiés. Mais, en raison du climat d’incertitude qui continue de régner à New York, ils risquent cette fois de ne pas atteindre des prix records.

La réduction d’un quart de point des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine, le 15 octobre, est un autre sujet de préoccupation. Même si le Dow Jones a décollé à 330 points, il est évident que cette mesure a été prise pour rassurer les investisseurs et contenir les effets de la crise asiatique. La présidence controversée de Bill Clinton, fragilisée par l’affaire Monica Levinsky, n’a fait qu’accentuer l’inquiétude ambiante. Le marchand Richard Feigen, spécialisé dans les maîtres anciens et l’art contemporain, est soucieux : “Si les démocrates perdent les élections, le pays ne fera que s’enfoncer davantage et cela peut avoir des répercussions sur le marché de l’art”.

L’économiste Saskia Sassen estime que “malgré les secousses boursières, il reste toujours une élite disposant de capitaux importants et une quantité limitée d’objets d’art de qualité”. Célèbre pour ses recherches sur les grandes métropoles, elle est convaincue que les marchés très spécialisés comme celui de l’art peuvent continuer à se développer, même si les ressources des ménages américains ont diminué de 1,2 milliard de dollars depuis juillet. D’après elle, le marché de moyenne gamme sera sérieusement touché, seules les œuvres de haute niveau continuant à se vendre. Mais elle ajoute qu’en période d’agitation financière, investir intelligemment dans une œuvre d’art peut être nettement plus rentable qu’acheter des actions et des obligations.

Bien que les œuvres de premier plan soient généralement des valeurs sûres, cette fois, rien n’est gagné. “Il ne faut pas être trop avide, affirme un marchand expérimenté. Si le Modigliani ne rapporte que 8 millions de dollars au lieu de 12, chez Sotheby’s, il ne faudra pas considérer cela comme un échec, mais simplement comme une correction du marché”.

Outre les tableaux du Reader’s Digest, la collection Morton G. Neumann est également mise aux enchères. Les vingt-sept tableaux devraient réaliser entre 16 et 20 millions de dollars (88-100 millions de francs). L’œuvre maîtresse est un Picasso de 1909, un nu cubiste de sa maîtresse Fernande Olivier devant un paysage, qui est estimé 10-15 millions de dollars. Le même jour, Sotheby’s dispersera sept œuvres de la collection Mildred et Herbert Lee, qui devraient atteindre 13,5 millions de dollars. Le tableau phare de cette vacation est White Numbers (1958) de Jasper Johns. Pour Tobias Meyer, de Sotheby’s, cette œuvre est la plus élaborée de sa série des Numbers. Mais pourra-t-elle faire mieux que le Johns de la vente Ganz il y a un an ? Avec une estimation de 5-6 millions de dollars, il s’était finalement envolé à 7,9 millions de dollars.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°70 du 6 novembre 1998, avec le titre suivant : Sotheby’s disperse trois importantes collections

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