Entretien

Sophie Scheidecker : « Offrir l’opportunité de gymnastiques intellectuelles »

Galeriste à Paris.

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2010 - 683 mots

Depuis l’ouverture de votre galerie en octobre 2009, vous avez enchaîné les expositions thématiques mêlant des œuvres d’art moderne et contemporain. Pourquoi ce type d’expositions n’existait-il pas chez vos confrères parisiens ?
De manière traditionnelle, les galeries d’art moderne sont très spécialisées. Elles ne jouent pas sur les dialogues, ni sur le fait qu’à toute époque les artistes ont regardé le travail de leurs pairs. Je n’ai pas la prétention de faire des expositions de musée, mais d’établir des correspondances entre des œuvres de qualité, afin de montrer comment les artistes ont besoin de se ressourcer auprès de leurs maîtres. Ma prochaine exposition en septembre traite ainsi des dessins ingresques au XXe siècle. Picasso et Hockney ont regardé le travail d’Ingres en apposant chacun leur patte. 

Comment les collectionneurs d’art moderne et d’art contemporain réagissent-ils devant ces rapprochements stylistiques ou thématiques ? 
Pour les collectionneurs d’art moderne, c’est un enchantement. Ce que j’aime, c’est conduire vers l’art contemporain des gens qui n’en ont jamais regardé et qui ne fréquentent pas les galeries d’art actuel. J’ai vendu par exemple à un très grand collectionneur de dessins anciens une œuvre d’Iris Van Dongen que la galerie Bugada & Cargnel m’avait prêtée. 

Est-il plus facile de conduire un collectionneur d’art moderne vers l’art contemporain que l’inverse ?
 
Les collectionneurs d’art contemporain s’intéressent rarement à l’art moderne ou au XIXe siècle. Néanmoins, s’ils trouvent la confrontation intéressante, ils regardent les objets autrement que comme des choses poussiéreuses, ils mesurent la densité et l’héritage. Ils comprennent qu’on peut revisiter aujourd’hui des genres classiques comme la nature morte ou le portrait. Il est plus difficile de conduire les collectionneurs d’art moderne vers l’art contemporain car ils n’y sont pas préparés. Ce sont des connaisseurs, des gens très cultivés, et quand ils arrivent devant des pièces qu’ils ne connaissent pas, ils sont déroutés. Mais si on leur montre que ces œuvres se situent dans le sillon d’œuvres anciennes, ils vont s’y intéresser. Ces expositions offrent aux amateurs l’opportunité de gymnastiques intellectuelles.

Comment expliquez-vous que le marchand new-yorkais Larry Gagosian ait monté une exposition Claude Monet à Chelsea ?
 
Gagosian a décidé de couvrir tous les genres, tous les styles, car il a compris que les gros collectionneurs d’art moderne viendraient ainsi vers lui. Ces collectionneurs sont solides ; ils ne disparaissent pas avec la crise, ce sont des acheteurs compulsifs. Leur ressort n’est pas le même que celui des amateurs d’art contemporain. Si Gagosian vient à Paris, c’est aussi pour avoir accès aux grandes collections d’art moderne, ainsi qu’aux successions d’artistes. La France en est un vivier. Larry sait que tous les clients d’art moderne qu’il va récupérer vont lui acheter par la suite de l’art contemporain. 

Depuis l’ouverture de votre galerie, vous êtes-vous fait une nouvelle clientèle ?

Ces expositions m’ont permis de vendre à mes collectionneurs, mais aussi à des gens qui me connaissaient, puisque j’exerce depuis vingt ans. Mais jusqu’à présent, ils ne m’avaient rien acheté. Je pense que l’exposition « Picasso et les surréalistes », que je ferai avec la galerie Ubu de New York lors de la FIAC en octobre, m’amènera une nouvelle clientèle.

Cela valait-il le coup d’ouvrir une galerie, de surcroît à Paris, alors que vous avez longtemps exercé en appartement, notamment à New York ?
 
Oui. Je ne ressens pas la crise car je ne suis pas dans une course pour gagner des milliards. Je fais tourner ma baraque, j’ai trouvé une niche. Mes collectionneurs internationaux adorent Paris. Les gens viennent plus facilement me voir ici qu’à New York, où la compétition est plus rude. Je suis maintenant sur leur parcours. En travaillant à partir d’un bureau, on ne peut pas vraiment exprimer sa sensibilité. J’ai fait une exposition « Egon Schiele » en 2000 dans mon appartement parisien. J’ai eu seulement quarante visiteurs. La visibilité n’est pas la même qu’avec une galerie. On ne peut pas garder une exposition pendant trois mois. Je pense que la tradition de l’appartement-bureau est en perte de vitesse.

Galerie Sophie Scheidecker, 14 bis, rue des Minimes, 75003 Paris, tél. 01 42 74 26 94, www.galerie-sophiescheidecker.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : Sophie Scheidecker : « Offrir l’opportunité de gymnastiques intellectuelles »

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