Shanghai sans failles ?

La Chine cherche à attirer les marchands

Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 787 mots

Avec ses gratte-ciel et le nouveau centre financier de Pudong, en face du Bund, Shanghai ressemble de plus en plus à Manhattan. Pour élever cette ville-vitrine au rang de Hong Kong dans les dix ans à venir, le gouvernement chinois y transfère une part importante des revenus provenant de Guangdong (Canton). Ces changements sont de bon augure pour le marché de l’art, car de nombreux marchands étrangers pourraient venir s’y installer très prochainement.

SHANGHAI-PÉKIN (de notre correspondant) - Récemment restauré, l’Art Museum, sur la place du Peuple, est une vitrine de la culture chinoise. Chacune de ses salles porte le nom d’un mécène chinois expatrié : Woo Po-shing a financé la décoration intérieure de la galerie des bronzes ; K.L. Watt, celle des sculptures ; S.C. Ko, à l’origine de la célèbre collection Kianminlou de porcelaine bleue et blanche, a commandité la décoration de la grande salle des expositions, et le millionnaire T.T. Tsui celle de la galerie des céramiques chinoises anciennes.

Quant au Shangai Art Museum, qui occupe pour l’instant un complexe moderniste assez laid, il devrait bientôt emménager dans la tour de l’horloge du pavillon de l’Old Race Course, construit par les Anglais dans les années vingt. Dans cet élégant bâtiment, qui servait dernièrement de bibliothèque, les rampes aux motifs de bronze représentant des têtes de cheval et le sol dallé de pierres incrustées de coquillages ont été préservés.

Flanquées de grands magasins, de cafés et de restaurants, les rues principales se font elles aussi l’écho du désir de transformer Shanghai en une cité riche et opulente. Mais dès que l’on s’éloigne des artères touristiques, le décor devient nettement moins séduisant car les bulldozers ont envahi la ville. Cependant, la plupart des parcs construits par les Français – qui ont également aménagé les rues bordées d’arbres – ont été épargnés. C’est dans l’un d’eux, simplement appelé l’“Old Park”, que s’est tenue en novembre la première exposition en plein air de céramiques chinoises contemporaines.

Un avenir encore incertain
En apparence, l’économie et la culture ne se sont jamais aussi bien portées depuis 1989, mais tout pronostic reste incertain. Hans van Dyck, de l’Amsterdam Consultancy, marchand spécialisé en peinture chinoise contemporaine qui vit en Chine depuis plus de dix ans, déclare : "Offi­ciel­lement, le gouvernement dément l’existence de toute forme d’art contemporain contestataire en Chine. Les autorités maintiennent que les artistes qui ne sont pas des "peintres religieux" ou qui ne bénéficient pas du statut officiel de membre de l’Association des artistes n’existent pas."

Les artistes de performances comme An Hong et Zhao Shao ruo (exilé politique en Finlande), qui sont ouvertement engagés politiquement, se trouvent tous dans la même situation : au mieux, aux yeux de la bureaucratie, ils n’existent pas ; au pire, ils se voient dans l’interdiction d’exposer leurs œuvres en Chine. Brian Wallace, de la Red Gate Gallery à Pékin, confirme cet état de fait : "Si le climat politique change subitement, ce qui pourrait bien arriver, et si les autorités décident d’en finir avec l’influence étrangère (que nous pourrions représenter à leurs yeux), elles peuvent très bien nous sommer de quitter le pays et nous n’aurons pas d’autre choix que de partir."

Brian Wallace fait référence à la célèbre affaire McDonald’s : alors que la société avait signé un contrat de location pour des locaux situés dans le centre de Pékin, il lui fut signifié que le bâtiment était réquisitionné pour un autre usage. Chaque année, elle a également dû payer quelque trente et un impôts et taxes diverses, dont il est aujourd’hui démontré que dix-sept étaient arbitraires. Les galeries d’art étrangères sur le point de s’installer à Hong Kong ont une raison supplémentaire d’hésiter : la mafia y est très puissante et a pour habitude d’assurer la protection des commerces en échange "d’honoraires", mais l’élément le plus dissuasif, comme le signale Hans van Dyck, reste "l’absence d’un appareil judiciaire indépendant".

Pourtant, certains n’ont pas l’impression de s’aventurer sur un champ de mines. Pour Karen Smith, dont la Courtyard Gallery vient d’ouvrir à Pékin, les marchands et les hommes d’affaires étrangers ont une mauvaise approche du marché chinois : “Des galeries telles que la Chinese Contemporary, qui est établie à Londres, sont avant tout motivées par l’aspect financier. Comme la plupart des entreprises étrangères, elles s’imaginent qu’elles peuvent débarquer en Chine, faire leurs affaires et repartir avec beaucoup d’argent. Elles partent du principe que la main-d’œuvre est bon marché et que, de ce fait, les marchandises ne devraient pas être chères non plus. Ce n’est pas une attitude commerciale saine.” Karen Smith souligne également que les autorités chinoises ne ferment plus depuis longtemps les expositions en galerie dont le message, la présentation ou le thème ne sont pas en accord avec l’idéologie officielle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : Shanghai sans failles ?

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