Art déco - Expertise

Ruhlmann, figure emblématique de l’Art déco

Par Marie Potard · L'ŒIL

Le 27 octobre 2025 - 837 mots

Maître du mobilier Art déco, Jacques-Émile Ruhlmann a imposé dans les années 1920 un style d’élégance et de luxe raffiné. Près d’un siècle plus tard, ses créations, devenues rares sur le marché, figurent toujours parmi les plus recherchées.

Incontournable créateur de l’Art déco, Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933) a été mis en valeur cette année au Musée des arts décoratifs de Paris avec un focus « Ruhlmann, décorateur », de mars à mai derniers, avant la grande exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco » qui se tient jusqu’au 26 avril 2026.

Autodidacte, il fonde son atelier en 1910 et connaît une ascension fulgurante, couronnée par l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, où il conçoit le pavillon du Collectionneur, manifeste éclatant d’un art de vivre français. À la tête d’un atelier complet, réunissant ébénistes, laqueurs, sculpteurs et ferronniers, il contrôle toutes les étapes de production, dans un esprit proche des grandes manufactures du XVIIIe siècle. Sa carrière s’achève brutalement en 1933, à 54 ans, mais son nom reste indissociable du luxe parisien des Années folles.

L’œuvre de Ruhlmann se distingue par une élégance classique et une rigueur formelle : lignes sobres, proportions parfaites, refus de l’excentricité. Ses meubles mobilisent les bois les plus rares – ébène de Macassar, palissandre de Rio, loupe d’amboine – enrichis d’ivoire, de galuchat ou de laques précieuses. Ces « meubles-bijoux », commodes, vitrines ou bureaux, allient perfection technique et raffinement aristocratique. Tout en intégrant la géométrie moderne, Ruhlmann reste à distance du fonctionnalisme du Bauhaus, inscrivant son œuvre dans un univers de luxe maîtrisé.

Concepteur d’ensembles complets, il orchestre mobiliers, textiles et luminaires dans des décors d’une grande cohérence. Ses commanditaires – aristocrates, industriels ou collectionneurs comme Jacques Doucet et le baron de Rothschild – trouvent en lui l’incarnation du grand goût français. Souvent qualifié de « dernier des ébénistes classiques », il perpétue l’exigence du XVIIIe siècle, tout en portant l’Art déco à son apogée.

Aujourd’hui, Ruhlmann demeure l’une des signatures les plus convoitées sur le marché des arts décoratifs. Ses créations, rares et précieuses, suscitent l’intérêt des collectionneurs internationaux. Leur valeur atteint régulièrement des sommets, comme en témoigne son record aux enchères en 2009, fixé à 4,5 millions de dollars [3,8 M€] pour un bureau présidentiel.

Environ 300 000 €

1. Bureau -  Ce Bureau Monumental incarne la rigueur et le faste du style Ruhlmann. Le piètement plein, traité en deux massifs latéraux sur socle à moulures, confère à l’ensemble une assise architecturale, adoucie par le rythme régulier de la frise de petits clous métalliques. Le somptueux palissandre de Rio souligne l’éclat sombre et veiné des surfaces, tandis que le plateau, gainé de cuir, rappelle le goût du créateur pour l’association de matières précieuses et tactiles. Ce type de bureau apparaît dans les premières années de reconnaissance publique de Ruhlmann, lorsqu’il affirme un vocabulaire Art déco dont le niveau d’exigence lui a valu le surnom de « Riesener de 1925 ».

 

Galerie Marcilhac, Paris

280 000 €

2. Chaise Longue - À L’occasion du 100e anniversaire du mouvement Art déco, la Galerie Guelfucci récemment installée à Paris met à l’honneur Ruhlmann avec une sélection de 50 pièces (sur les 87 de sa collection) : mobilier, luminaires, tapis, tapisseries et objets dont une sélection d’objets en laque. Parmi les meubles présentés figure cette chaise longue, « méridienne », seul modèle connu à ce jour, et recouvert récemment d’un tissu Prelle, modèle dessiné par Ruhlmann, issu des archives de la manufacture Prelle. L’exposition comprend également la commode « Lassalle » en bois de violette (pièce unique) ou encore la table « Lorcia », conçue pour l’actrice française Gabrielle Lorcia.

 

Guelfucci Gallery, Paris, Berlin

Adjugée 1,5 M€

3. Bergère cathédrale  - Présentée au Salon d’automne 1913, une bergère cathédrale de Ruhlmann similaire à celles-ci marque le début de la collaboration avec Jacques Doucet, alors en pleine constitution de sa collection d’art moderne dans son « studio » de la rue Saint-James à Paris, orchestrée par Pierre Legrain. Conservées dans l’hôtel particulier du mécène, l’une de ces assises pourrait avoir été celle qui fut exposée en 1934 au pavillon de Marsan lors de la rétrospective Ruhlmann, décédé un an plus tôt. En 1945, la veuve de Doucet transmet cette paire de bergères à des amis proches, demeurée dans la même famille depuis.

Vendue chez Giquello, le 22 mai 2025

Adjugé 906 000 €

4. Secrétaire -  Parmi Les créations les plus emblématiques de Ruhlmann figure ce secrétaire à abattant dit « Égyptien fuseau », qui illustre l’élégance architecturale et le raffinement extrême du créateur. Son nom renvoie à la fois à la monumentalité des lignes, inspirées de l’Antiquité, et aux pieds fuselés qui en allègent la silhouette. Estimé de 60 000 à 80 000 €, il a réussi à dépasser les 900 000 €, « malgré les restrictions d’export liées à l’ivoire et aux bois précieux, tant le modèle est iconique et n’avait pas été présenté sur le marché depuis de nombreuses années. Des collectionneurs internationaux ayant des résidences à Paris se sont battus pour avoir cette pièce digne d’un musée », commente Flavien Gaillard, directeur du département Design de Christie’s Paris.

 

Vendu chez Christie’s, le 4 octobre 2022

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°790 du 1 novembre 2025, avec le titre suivant : Ruhlmann, figure emblématique de l’Art déco

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