Robert Noortman : Un marchand gâté

Robert Noortman, l’antiquaire aux deux Rembrandt

Le Journal des Arts

Le 30 mars 2001 - 895 mots

Le marchand Robert Noortman a défrayé la chronique à deux reprises ces derniers mois en acquérant, à quelques semaines d’intervalle, deux Rembrandt : le Portrait d’une dame âgée de 62 ans, acheté avec un associé en décembre à Londres et le Portrait d’un homme en gilet rouge, en janvier à New York.
Il évoque son parcours et commente les évolutions récentes du marché de l’art.

Comment êtes-vous devenu marchand d’art ?
J’ai ouvert ma première galerie au milieu des années 1960 à Hulsberg (Pays-Bas), puis une autre dans les années 1970 à Maastricht. Mon père était officier de police et je n’ai reçu aucune éducation artistique. Il a refusé de me parler lorsqu’il a appris que j’avais dépensé 4 000 florins pour un tableau.

Puis vous vous êtes installé à Londres...
Lorsque j’ai ouvert la galerie de Londres en 1974, j’ai rencontré tous les directeurs de musées et les principaux clients internationaux. Londres a été une expérience très fructueuse pour mes affaires. En gage de reconnaissance, j’ai fait don des œuvres de la salle Noortman à la National Gallery.

Regrettez-vous de ne plus avoir de galerie à Londres ?
Le marché londonien a amorcé un déclin dans les années 1980. Avec l’ouverture des ventes en France, Londres n’aura plus le monopole de l’Europe. Les transactions se font désormais à un tel niveau international, que l’endroit où l’on est installé – Maastricht, en l’occurrence – importe peu.

Quels sont vos projets pour les deux Rembrandt que vous avez récemment acquis ?
J’ai présenté le Portrait d’une dame âgée à la Tefaf [la Foire de Maastricht] et je vais exposer le Portrait d’un homme en gilet rouge dans ma galerie. J’ai l’intention de les vendre, mais je ne pense à aucun acheteur précis pour l’instant.

À combien estimez-vous la plus-value possible de ces œuvres ?
J’ai dépensé 19 millions de livres pour le Portrait d’une dame âgée. Je pensais enchérir jusqu’à 20 millions de livres, tout en espérant que l’œuvre ne dépasserait pas 15 ou 16 millions. Si on obtient une plus-value de 15 % sur un an, c’est une bonne affaire, mais 15 % sur trois ans, c’est une perte. Il faut essayer d’acheter les meilleurs tableaux pour les revendre, trouver l’institution ou le collectionneur appropriés. Avec une telle publicité, on ne peut pas espérer de bénéfices importants, mais si je vends ce Portrait d’ici trois à cinq mois avec une plus-value de 15 %, je serai raisonnablement satisfait. Cependant, je pense que je vais garder quelque temps le Portrait d’un homme en gilet rouge.

Vous laissez-vous parfois tenter par des tableaux de moyenne gamme ?
Il existe toujours un marché intéressant pour les œuvres décoratives et beaucoup d’invendus parviennent à trouver acheteur, après la vente, à des prix moins élevés. Sauf le respect que je dois aux maisons de vente, si leurs spécialistes connaissaient vraiment leur affaire, ils seraient marchands et ne resteraient pas experts chez un auctioneer. Leurs estimations ne sont pas toujours justes et ils font des fautes graves. Ils avaient évalué le dessin de Cuyp entre 100 000 et 150 000 livres tandis qu’il s’est vendu 2,66 millions de livres.

êtes-vous satisfait du prix atteint par le tableau de Hans Hoffmann ?
Je possédais depuis 1997 une participation de 50 % dans ce tableau pour lequel je demandais 3 millions de dollars à Maastricht l’an passé. Comme chacun sait, il est resté invendu chez Sotheby’s en 1990 avec un prix de réserve de 2 millions de livres. Je pense que le Getty l’a acquis à son juste prix ; un peu moins cher que s’il avait été acheté directement chez nous, mais un marchand doit toujours négocier un minimum et j’ai ainsi économisé les 6 % de TVA.

Quelle a été l’incidence du développement de la Foire de Maastricht sur votre activité ?
Lorsque j’ai fondé avec d’autres la Foire de Maastricht en 1975, elle comptait 28 exposants et n’accueillait pas plus de 3 000 visiteurs. L’activité était tellement faible pendant la semaine que certains marchands jouaient au golf dans les allées. Tefaf est désormais le centre du monde de l’art une fois par an. J’en ai été le président pendant dix ans et le directeur général pendant deux ans. Elle a naturellement été très profitable pour mes affaires.

Achetez-vous de nombreuses œuvres à des particuliers ?
Je possède un Rubens, un Jan Davidsz de Heem, deux tableaux signés et datés de Jan Bruegel le Vieux, ainsi que deux Monet, qui ont tous été achetés à des particuliers.

Peut-on, selon vous, entrevoir une croissance continue du marché ?
Le marché ne connaîtra jamais de croissance continue. Je fais ce métier depuis trente-cinq ans et, comme il est dit dans la Bible, on a sept vaches grasses, puis sept vaches maigres. Nous arrivons au terme d’un cycle, comme à la fin des années 1980 et au début des années 1990, qui annonce le ralentissement du marché. Mais en général, les meilleures œuvres ne perdent pas de valeur ; le problème est plus sensible pour les tableaux de moyenne gamme. J’ai connu trois crises économiques au cours de ma carrière, la crise du pétrole en 1974, puis en 1982, puis encore au début des années 1990 lorsque les Japonais ont cessé d’acheter.

Comment financez-vous votre entreprise ?
ABN Amro et Artesia Bank, autrefois Paribas, sont mes principaux banquiers. C’est beaucoup plus intéressant d’emprunter à une banque que de traiter avec un investisseur très exigeant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Robert Noortman : Un marchand gâté

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