Droit de suite

Résoudre la quadrature française

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2004 - 1056 mots

La perspective de la transposition en droit français de la directive européenne sur le droit de suite inquiète galeristes et maisons de ventes aux enchères.

À l’approche des échéances de l’harmonisation européenne du droit de suite, les opérateurs du marché s’interrogent toujours sur les moyens d’interpréter un dispositif qu’ils jugent pénalisant.
La publication du 2e rapport du Conseil des ventes et les préoccupations du Comité professionnel des galeries d’art expriment l’écartèlement des professionnels français sur la question.

Sous le chapitre « Handicaps par rapport aux grandes places étrangères », le Conseil des ventes résume ainsi les choses : « Il est certain que, sans les montants excessifs que peut atteindre actuellement le droit de suite, notre pays aurait pu servir de cadre aux ventes de tableaux plus prestigieux pour les collectionneurs du monde entier, au lieu de constituer une simple source d’approvisionnement pour les enchères de New York et de Londres. De ce point de vue, le Conseil se félicite que la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale ait introduit un plafonnement à 12 500 euros du montant qui peut être perçu par les titulaires de ce droit lors de chaque vente d’une œuvre. »

En d’autres termes, plus vite la directive européenne sera transposée en France, mieux se porteront les ventes publiques françaises.

Le hic, souligné par le Comité professionnel des galeries d’art, c’est que parmi les contreparties négociées lors de l’adoption de la directive d’harmonisation européenne figure l’assujettissement des ventes des galeries d’art. Or celles-ci sont exemptées du droit de suite en contrepartie de leur contribution au financement de la sécurité sociale des artistes, dont sont exonérées les ventes publiques.

En contrepoint des observations du Conseil des ventes, le Comité des galeries d’art s’exprime ainsi : « Adoptée sur le modèle de l’application faite dans les ventes publiques, sans une véritable concertation avec les galeries d’art, la directive sur l’harmonisation du droit de suite fait courir de graves dangers à la fois pour les artistes et pour la promotion de leur œuvre. » Le comité poursuit en indiquant que « notre gouvernement se doit d’obtenir de la Commission européenne, comme cela est encore possible, des modifications à certains articles […] car si rien n’est fait pour en atténuer la portée, les galeries d’art seraient fortement dissuadées de continuer à acheter des œuvres aux artistes avant leur vente aux amateurs. Les conséquences pour les artistes français et européens en seraient grandes à la fois pour leur train de vie, leur capacité de création et la promotion de leurs œuvres dans le long terme ».

Pour ne pas s’en tenir à la litanie, le comité propose divers assouplissements dans le cadre de la transposition française : exonération sur les stocks constitués avant la mise en œuvre de la directive puis sur les œuvres achetées directement aux artistes ; alignement de la prise d’effet de la directive sur le délai exceptionnel consenti pour les œuvres des artistes décédés aux pays n’appliquant pas le droit de suite ; enfin, fixation du seuil d’application du droit de suite aux ventes de plus de 3 000 euros (la directive a prévu que les États membres puissent réduire ce seuil).

Ces propositions ne manquent pas de cohérence. Sur le plan à la fois du droit (la non-rétroactivité des lois reste une base de notre dispositif juridique), des tolérances européennes (il est notoire que la France appliquait un double système, différenciant les ventes publiques et les galeries ; il n’y aurait donc pas abus de droit à interpréter la directive en tenant compte de cette situation), et des pratiques françaises d’application des textes européens. La récente instruction administrative réservée par la 7e directive aux ventes des artistes et qui a fait bénéficier les éditeurs d’art du taux réduit prouve que ces assouplissements sont possibles. Elle montre également que l’administration est sensible aux risques de « détournement » des flux commerciaux que peuvent induire certaines disparités fiscales ou parafiscales – dans les deux cas, le risque d’établissement de circuits de vente directe pour contourner la réglementation est effectif.

Deux univers juridiques
Sur le plan de l’opportunité, ce dispositif a minima permettrait, tout en assurant la transposition rapide de la directive en France, de réserver les négociations qu’il faudra bien engager un jour sur la question du financement de la sécurité sociale des artistes. En attendant, le Comité des galeries d’art semblait proposer des portes de sortie, acceptables pour tous les protagonistes. Mais le rapport de Michel Raymond et Serge Kancel publié en avril sur « Le droit de suite et la protection sociale des artistes plasticiens » a relancé la machine. Il part de la considération incontestable que le droit de suite concerne les artistes et que les difficultés de son extension en France sont liées à un « deal » sur leur protection sociale remontant à presque cinquante ans. Il souligne que « le consensus actuellement en vigueur repose sur une double non-application des textes : le Code de la propriété intellectuelle ne prévoit aucunement que les ventes par les galeries et autres commerçants assimilables soient dispensées de droit de suite ; le Code de la sécurité sociale ne prévoit pas davantage que les sociétés de ventes volontaires soient dispensées du paiement de la contribution diffuseur. Une seconde ambiguïté fondamentale tient aux termes mêmes de cet équilibre actuel, les deux éléments mis en balance appartenant à deux univers juridiques, conceptuels et fonctionnels totalement différents : le domaine de la propriété littéraire et artistique d’une part, et celui de la protection sociale d’autre part. À cela s’ajoute l’ambiguïté des discours assimilant le droit de suite à une taxe frappant les entreprises de diffusion, alors qu’il s’agit d’un droit versé à un auteur et à la charge du vendeur ».

Bref, les auteurs du rapport élargissent le champ. S’ils ont sans doute raison en termes nationaux, il n’est pas évident que la solution des problèmes de sécurité sociale de nos artistes soit un préalable aux questions de compétitivité entre les marchés (en particulier vis-à-vis de la Grande-Bretagne). Mais peut-être le rapport cherche-t-il à secouer la relative inertie des protagonistes du marché, et à encourager une vraie négociation interprofessionnelle qui aille jusqu’au bout des questions, plutôt que l’attente habituelle d’une solution « bancale » arbitrée par l’État. En tout cas le temps presse.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°203 du 19 novembre 2004, avec le titre suivant : Résoudre la quadrature française

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