Tour des galeries

Rentrée émotive

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2006 - 743 mots

Les galeries du Marais proposent un beau parcours, entre recherches picturales et univers effervescents.

 Paris - Les deux belles surprises de la réouverture des galeries du Marais sont françaises et ont en commun de créer des environnements à forte charge émotive, qui sollicitent pleinement les sens du spectateur et ses réactions dans le processus de perception. Ainsi Alain Gutharc réussit-il sa réouverture rue Saint-Claude avec une touchante installation d’Emmanuel Lagarrigue. I Never Dream Otherwise Than Awake (2006, 30 000 euros) occupe la totalité de l’espace plongé dans une ambiance sombre et bleutée. Du plafond tombent huit modules faits de câbles auxquels sont accrochées des nuées de petits haut-parleurs qui retransmettent, à peine perceptibles, des airs fredonnés par huit voix différentes. Des voix auxquelles l’artiste a rajouté une mélodie autre que celle de la chanson enregistrée, se jouant de la perception en une sorte de brouillard sonore. Une neuvième séquence musicale unifie l’ensemble et porte le spectateur dans son déplacement, au gré des souvenirs et des impressions, entre rêve et mélancolie, toujours avec légèreté.

Nébuleuse atmosphère
À la galerie Martine Aboucaya, fidèles à leur univers où se mêlent études psychiatriques, phénomènes physiques et psychiques et recherches sur le cadre et l’architecture, Christophe Berdaguer et Marie Péjus composent un espace fort, cohérent et troublant. Après avoir été accueilli par un poisson pour qui la lumière n’est pas vitale et qui se satisfait d’évoluer dans une eau noire (Double-Aveugle, 2006, 1 000 euros, éd. 3), le visiteur s’engouffre dans une salle noire, se déplaçant au gré des clignotements stroboscopiques que leur forêt de Tubes épileptiques (2006, 25 000 euros) déverse au sol. Dans une salle contiguë, blanche et à l’atmosphère nébuleuse, c’est un voyage vers la face cachée de la conscience qui commence. Des maisons (8) aux formes curieuses, exécutées au laser sur une résine photosensible (« stéréolithographie »), ont été réalisées à partir de dessins effectués par des malades souffrant de pathologies psychiques (Psychoarchitecture, 2006, 6 000 euros) [jusqu’au 21 oct.].
Du côté des locomotives de la place, l’ambiance n’est pas toujours au meilleur. Ugo Rondinone (lire le JdA no 243, 22 sept. 2006) unifie de blanc le nouvel espace d’Almine Rech avec ses tableaux délicats (18 000-20 000 dollars, soit 14 150-15 700 euros) et de nouvelles sculptures en plâtre (90 000 dollars, jusqu’au 21 oct.). Chez Emmanuel Perrotin, on relève une belle installation de Giuseppe Gabellone, qui s’amuse des habitudes du regard et crée un étrange relief sur une grande photo de flamants roses, où sont projetés des cercles de lumière issus d’un complexe dispositif de lentilles colorées fixé au plafond (Untitled, 2006, 46 000 euros HT, éd. 2).
Les visions picturales d’Ilya & Emilia Kabakov, à la façon de souvenirs et de digressions nostalgiques vus dans des flocons de neige, apparaissent un peu mièvres chez Thaddaeus Ropac. De même, chez Yvon Lambert, les petits motifs dessinés ou imprimés de Walter Dahn font assez pâle figure. Le choix des œuvres, manquant manifestement de souffle, ne parvient pas à se hisser au niveau de la réputation de l’artiste.

Un jeu de dupe
Cette rentrée confirme également l’intérêt toujours soutenu pour la peinture, avec des attentes parfois déçues. Ainsi l’ensemble de grands tableaux de Jonathan Meese, chez Daniel Templon, apparaît-il confus et répétitif. Si plusieurs expositions collectives, au cours des dernières années, ont accroché des pièces de qualité, la présentation s’avère ici par trop roborative. Effet d’accumulation ou production à la chaîne d’œuvres offrant beaucoup trop de similitudes ? Sans doute s’agit-il un peu des deux (entre 17 500 et 52 000 euros).
Chez Baumet Sultana, c’est un autre Allemand, Stefan Sehler, qui intrigue grandement avec ses paysages de forêts et de sous-bois issus d’un savant exercice d’applications et de coulures d’huile et de laque au verso de plaques de Plexiglas. Le résultat est bluffant, entraînant l’œil dans un jeu de dupe entre peinture et photographie (de 7 000 à 14 000 euros). À la galerie Nelson, c’est le peintre suisse d’origine slovène Mitja Tusek qui interpelle. Entre abstraction et figuration, ses compositons résultent là encore d’un dosage précis de laque, de plomb et de pigments… Étranges sont les nus féminins où la figure tend à se diluer dans la couleur et qui se répondent en miroir, obtenus par contact et imprégnation des deux toiles l’une contre l’autre, faisant émerger la peinture des méandres et profondeurs de la toile elle-même (9 000-19 500 euros, jusqu’au 27 oct.).

Sauf mention, les expositions se terminent le 14 octobre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : Rentrée émotive

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