Vente

Quand Sotheby’s faisait tapisserie

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2006 - 797 mots

Un commentaire extrait du dernier rapport du Conseil des ventes montre la complexité de notre régime juridico-réglementaire.

Un avis du commissaire du gouvernement publié dans le dernier rapport 2005 du Conseil des ventes volontaires (CVV) est significatif d’incertitudes juridiques qui ne sont sans doute pas sans effet sur le dynamisme du marché de l’art français.
Serge Armand, commissaire du gouvernement, expose qu’il a été saisi en 2005 par Sotheby’s France d’une question relative à la vente du catalogue de la maison Braquenié. La vente était constituée « principalement de tapisseries (couverture de sièges des XVIIIe, XIXe et XXe siècles), d’un ensemble de gouaches et de cartons de tapisserie – projets de décor – ainsi que de tapis, provenant de la Maison Braquenié ». Le repreneur de Braquenié considérait ces pièces comme un « fonds d’archives ».
La question – surréaliste – était de savoir s’il s’agissait de biens neufs ou d’occasion. Derrière le droit se profilait une question de « gros sous ». Si les biens étaient qualifiés d’occasion, Sotheby’s France pouvait assurer la vacation. Si, au contraire, c’étaient des biens neufs, la vente aux enchères devait être autorisée par le tribunal de commerce. Elle devenait ainsi une vente par autorité de justice, Sotheby’s ne pouvait plus l’opérer seul et devait recourir à l’un de ses nombreux concurrents parisiens cumulant les casquettes de dirigeant de SVV (société de ventes volontaires) et de commissaire-priseur judiciaire.
La question de Sotheby’s était peut-être inspirée par le précédent de la vente Giacometti dont Christie’s s’était vue déposséder dans un contexte similaire (précisément, la question était alors de savoir si la vente effectuée à la demande de l’administrateur de la succession Giacometti était une vente volontaire ou une vente judiciaire, mais la vraie question était de déterminer qui tiendrait le marteau et encaisserait les honoraires…).
Pour résoudre ce problème épineux, le commissaire du gouvernement a procédé par étapes. Il a tout d’abord rappelé l’article L. 321-1 du code de commerce qui stipule que les « ventes volontaires […] ne peuvent porter que sur des biens d’occasion ou sur des biens neufs issus directement de la production du vendeur si celui-ci n’est ni commerçant ni artisan […]. Sont considérés comme d’occasion les biens qui, à un stade quelconque de la production ou de la distribution, sont entrés en la possession d’une personne pour son usage propre, par l’effet de tout acte à titre onéreux ou à titre gratuit ». Il a ensuite considéré que le rachat du fabricant par une autre entreprise n’avait pas entraîné « de changement de nature des biens issus du fonds, qui sont restés des biens neufs ». Il a enfin relevé que le vendeur était un commerçant, ce qui excluait la dérogation de l’article L. 321-1, explicitant au passage cette exception de ventes de biens neufs qui « vise en réalité les ventes d’œuvres d’art par les artistes, de chevaux par les éleveurs et de vin par les vignerons ».
Le commissaire du gouvernement concluait logiquement que ces pièces « ne peuvent dès lors faire l’objet que d’une vente judiciaire (art. L. 322-1 et L. 322-3 du code de commerce) après autorisation du tribunal de commerce ».
L’avis précisait qu’il s’étendait aux tapisseries produites mais refusées par le client, non aux tapisseries « déposées après une précédente utilisation ».

Un manque de lisibilité
Le commissaire du gouvernement était dans son rôle et ses réponses accumulées au fil des questions contribuent progressivement à une plus grande précision des règles de fonctionnement des ventes publiques, sans hélas en accroître la lisibilité pour les opérateurs étrangers. Parce qu’expliquer à un Anglais ou un Américain pourquoi la tapisserie est une œuvre d’art tout en justifiant que la fabrique qui a fait exécuter le modèle ne peut le vendre comme l’artiste, ou encore que les éleveurs ou viticulteurs ne sont pas des artistes, mais pas non plus des artisans ou des commerçants, risque de décourager les meilleurs interprètes du village gaulois.
La vente Braquenié a pu se tenir à Paris en collaboration entre Sotheby’s et un commissaire-priseur bien de chez nous. Tout est peut-être bien qui finit bien.
Mais lorsqu’on incrimine pêle-mêle le fisc, les douanes, le droit de suite ou la convention Unidroit dans la marginalisation du marché français, on peut y ajouter la complexité juridico-réglementaire héritée des corporatismes, laquelle pèse sans doute plus lourd qu’on ne veut l’admettre sur la délocalisation de parts importantes du marché national.
Et dans l’affaire Braquenié, on peut hasarder sans beaucoup de risque que si la question a été posée au CVV, elle doit plus aux « élégances » de la confraternité en vigueur entre opérateurs des ventes publiques nationales qu’au libellé de la loi de réforme.

D’après le CVV Rapport d’activité 2005. Les ventes publiques en France, La Documentation française, ISBN 2-11-006185-5, p. 339 et suiv.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Quand Sotheby’s faisait tapisserie

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