Punus et Dogons à Paris

La capitale française demeure un bastion de l’art primitif

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 798 mots

Les bons résultats de la vente d’arts primitifs organisée le 7 juin à Drouot Montaigne par l’étude De Ricqlès, avec le concours d’Alain de Monbrison, confirment la vigueur de la place parisienne dans ce domaine. L’expert Bernard Dulon, membre de la Compagnie nationale des experts, commente la vacation.

PARIS - Sur le marché de l’art primitif, il existe trois places importantes : New York, Paris et Bruxelles. La capitale française semble être en passe de prendre la tête du trio. Pour le confirmer, il suffit de regarder du côté des maisons de vente anglo-saxonnes qui recentrent leur activité sur les bords de la Seine. Sotheby’s organise encore à New York des ventes d’art tribal mais a cessé de le faire à Londres, et Christie’s, qui a fermé Londres et New York, s’implante à Paris.

La vente organisée le 7 juin par l’étude De Ricqlès confirme la bonne santé du marché parisien de l’art primitif. Outre la qualité intrinsèque de la vacation, les bons résultats – 11 millions de francs de produit total pour une estimation globale de 8 millions – s’expliquent par le fait qu’il s’agissait de la seule vente spécialisée de la saison. Aucune vente d’arts primitifs n’avait eu lieu à Londres ni à New York. La vacation s’est déroulée en présence d’un aréopage de collectionneurs privés et de conservateurs de musées venus d’Italie, de Belgique, de Hollande, d’Espagne, ou des États-Unis. Sans oublier les collectionneurs privés allemands dont la présence constitue une nouveauté.

Masque Tilor des îles de la Sonde
La vente était divisée en deux parties : la première consacrée aux arts de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie, la seconde aux arts d’Afrique. Les pièces de l’Asie du Sud-Est provenant de la collection Patrick Caput – un industriel qui a décidé de se séparer d’une partie de ses objets – étaient de grande qualité mais difficiles, car peu prisées des amateurs. Il est regrettable que le public n’ait pas manifesté plus d’intérêt pour des objets dont certains étaient exceptionnels, comme cet ancien masque Timor des îles de la Sonde, XIXe siècle, de conception archaïque, adjugé 15 000 francs, ou cette boîte Ifugao des Philippines – une boîte Punaman quadrangulaire surmontée d’un petit personnage en ronde-bosse – partie à 13 500 francs, ou encore ce très élégant récipient Karo-Batak de Bornéo (un récipient pour le kitang, l’alcool de palmier) vendu 4 000 francs. Le tabouret des îles Cook, début XIXe siècle, acquis 50 000 francs, avait été adjugé il y a dix ans, à Londres, plus de 100 000 francs. Certains objets constituant de véritables petits chefs-d’œuvre ont été enlevés à des prix modestes, entre 3 000 et 10 000 francs, ce qui constitue une déception. Les pièces anciennes d’art océanien, qui étaient également d’une remarquable qualité plastique et d’une grande authenticité, se sont toutes bien vendues. Les plus marquantes provenaient de la Nouvelle-Irlande, telle cette magnifique statuette de femme-oiseau de Nouvelle-Guinée, vendue 400 000 francs. La rareté du sujet et l’ancienneté exceptionnelle de cette pièce de grande taille et de belle facture, antérieure à la colonisation, explique le prix réalisé. Le grand masque Malangan, adjugé 330 000 francs – un superbe objet –, était utilisé lors des rites en l’honneur des défunts. Autre pièce Malangan majeure, un masque du nord de la Nouvelle-Irlande représentant un visage humain stylisé est parti à 210 000 francs.

Une statue Dogon préemptée par le Maao
Du côté de l’art africain, l’objet le plus important de la vacation était une statue Dogon, influence Bambara, d’une étonnante modernité. Il s’agit d’une statue un peu lourde mais belle, avec un merveilleux pedigree : elle provenait de la collection Hubert Goldet, un des grands spécialistes de l’art Dogon. Le masque Punu du Gabon, présentant un visage inscrit dans un cœur surmonté d’une coiffure tripartite, s’est lui aussi bien vendu à 490 000 francs, tandis qu’une statue Dogon était préemptée par le Musée des arts africains et océaniens à 460 000 francs. Il s’agit d’une des plus belles pièces Dogon de cette période (fin XVIIIe-début XIXe siècle), de style Bombou Toro, dont le sujet, un personnage africain debout, est représenté sur un petit socle. Une exceptionnelle statue Senoufo Pombile figurant une femme assise sur un tabouret tripode, témoignage de l’art très archaïque des Senoufo, a été adjugée 280 000 francs. Certains objets ont été présentés accompagnés d’estimations trop optimistes. D’où quelques déceptions, tel ce sceptre royal Bakongo surmonté d’un personnage féminin agenouillé, estimé 350 à 500 000 francs, qui s’est vendu 290 000 francs.

Cette vente a rassuré les professionnels sur la bonne tenue du marché de l’art africain. Elle n’était pas d’un niveau exceptionnel, comme celle qu’avait dirigée l’étude Loudmer le 20 juin 1996, mais cependant de qualité, et a enregistré un produit équivalent à celui de dispersions plus importantes. Un résultat encourageant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : Punus et Dogons à Paris

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