Analyse

Post mortem

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 616 mots

La mort joue parfois sur la cote des artistes dans un marché de l’art souvent cynique.

L’artiste pop américain Tom Wesselmann s’est éteint le 17 décembre. Sa cote va-t-elle tenir le coup ? Ses prix vont-ils grimper ? Quels sont les stocks les mieux fournis en la matière ? Autant de questions affolées et cyniques que l’on devine chez les professionnels. Cynique, le marché l’est indéniablement. Car si le parcours d’un artiste joue sur ses prix, la Faucheuse a aussi son mot à dire. Un artiste mort n’en est que plus désirable.
Pour autant, l’impact de la mort doit être tempéré. Celle-ci n’influe que lorsqu’elle est brutale et l’artiste déjà salué par la critique. Elle « doit » aussi survenir quand le marché de l’art contemporain est à son plus haut niveau. Une « parfaite » équation qu’on retrouve avec Jean-Michel Basquiat, décédé en 1988 à l’âge de 28 ans. Jusque-là, ses prix naviguaient pour la plupart autour de 20 000-30 000 dollars. À partir de 1989, il fallait compter 200 000 à 400 000 dollars pour les pièces importantes ! Le 5 mai 1987, Lye était adjugée à 24 200 dollars chez Sotheby’s New York. Trois ans plus tard, cette toile se revend pour 231 000 dollars. Cette inflation s’observe aussi chez des artistes comme Felix Gonzalez-Torres, dont l’œuvre a des relents mortifères. Un rideau de perles de ce dernier baptisé Blood, hommage à un ami mort du sida, était proposé à l’époque 50 000 francs à la galerie parisienne Jennifer Flay. Il s’envole pour 1,6 million de dollars le 16 novembre 2000 chez Christie’s New York. Lorsque Keith Haring a déclaré publiquement être atteint du sida, ses prix se sont aussi emballés.
En revanche, le décès en 2001 de Juan Muñoz, un bon artiste mais sans doute pas déterminant, a laissé sa cote de marbre. Ses prix, de l’ordre de 50 000 à 100 000 dollars avant sa mort, ont doublé récemment, à la faveur de l’embellie générale de l’art contemporain plus que d’une révision inopinée.
Qu’en est-il des patriarches ? La mort a peu de prise car leur corpus est fait, la veine s’est même parfois tarie. Le décès en 2003 du ponte de l’Arte povera, Mario Merz, n’a pas laissé d’empreinte sur sa cote. Celui de Wesselmann n’y changera rien non plus car son revival était déjà amorcé depuis quatre ans. Ses prix, qui d’après Artprice ont progressé de 66 % depuis 2002, poursuivront leur ascension, indépendamment de sa mort. En revanche, l’annonce d’une maladie fatale peut donner un coup de projecteur à un artiste injustement déprécié. Ce fut le cas pour Eduardo Chillida, atteint de la maladie d’Alzheimer, et dont les prix ont triplé les cinq dernières années de sa vie. Comme si, dans un sursaut de lucidité tardif, musées et collectionneurs prenaient soudain conscience de l’importance du sculpteur.
Que dire enfin de la mort symbolique, le purgatoire où l’on confine les artistes passé un certain âge. De ces moments de ménopause surgit parfois une étincelle de vitalité comme l’ont montré Picasso ou Léger. Les œuvres ultimes commencent d’ailleurs à sortir de leurs tombes. C’est le cas avec les Picasso tardifs, plébiscités par le marché depuis deux ans. L’Homme à l’épée (1969) est ainsi proposé entre 2,5 et 3,5 millions de livres sterling (entre 3,5 et 4,9 millions d’euros) par Christie’s Londres en février. Chez Sotheby’s New York, L’Aubade (1967) et Femme nue assise dans un fauteuil (1965) ont franchi le cap des 5 millions de dollars sur des estimations de 2 millions en novembre 2004. Le Mousquetaire à la pipe (1968) a même décroché 7,1 millions de dollars chez Christie’s. La critique et le marché sonnent trop vite l’hallali !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Post mortem

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