Photographie : qui se vend, pourquoi et où ?

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2000 - 1318 mots

Comment a évolué le marché de la photographie l’année dernière et au cours de la dernière décennie ? Avant l’ouverture de Paris Photo et la tenue dans la capitale de plusieurs ventes aux enchères, nous avons demandé à l’expert Marc Pagneux de commenter une série d’indices que vient d’élaborer artprice.com et dont le Journal des Arts publie certains en avant-première. Ceux-ci concernent la croissance des prix, tant pour la photographie XIXe que celle du siècle suivant, l’évolution des chiffres d’affaires et des quantités vendues ainsi que leur répartition géographique sur les principales places mondiales. Toute statistique suscite toujours des réserves sur sa méthode de calcul, et Marc Pagneux formule certaines suggestions à propos de ces indices. In fine, il constate que « les collectionneurs se séparent plus facilement de leurs images en ce moment. Nombre d’entre eux pensent que c’est le bon moment pour vendre ».

Top 100 de la photographie
Le haut du classement est stable dans les deux top 100 de la photographie, sur une décennie et sur une année (NDLR : nous ne reproduisons qu’une partie du top 100 de la décennie 1990-1999). On retrouve en tête les mêmes grands noms : Man Ray, Kertész, Sherman et Le Gray. Dans le classement sur 10 années, on retrouve 12 artistes du XIXe siècle et deux artistes qui sont à cheval sur le XIXe et le XXe siècle contre 26 pour le top ten couvrant l’année 1999-2000. Ce classement s’explique en grande partie par la vente Jammes, en particulier pour des artistes tel Charles Szathmari. Ce dernier ne figure à la 23e place du classement sur la période 1999-2000 qu’en raison de sa présence au sein de cette vente. Il ne se classe, en revanche, qu’à la 46e place du classement sur 10 années. Jean-Baptiste Frenet arrive, lui, à la 46e place du classement sur une année mais a peu de chances d’être présent ultérieurement, du fait de la rareté de ses images.

Pour tirer des conclusions d’un tel classement, il aurait été préférable de ne recenser que les artistes apparaissant au moins dans 5 ventes annuelles. Il aurait, en outre, fallu opérer des distinctions entre les différentes familles de la photographie : la photographie historique qui s’arrête à la Première Guerre mondiale, la photographie de l’entre-deux-guerres et la photographie contemporaine.
Cette dernière est plus sujette aux variations conjoncturelles. Si la Bourse connaît une forte baisse, la cote d’un artiste comme Gursky risque de s’éroder contrairement à celle de Le Gray qui a davantage valeur de patrimoine.

Le marché de la photographie historique se calque sur le goût de la peinture. Les gens qui achètent de la photographie historique n’appartiennent pas à la jet-set, laquelle est plus sensible aux effets de mode. Mapplethorpe a chuté sur dix ans parce que ce n’est pas un grand nom de la photographie alors que Weston et Man Ray continuent de bien se porter. Kertész est, lui, passé du 4e au 14e rang pour la période 1999-2000. L’autre limite de ce classement tient à ce qu’il compare des pièces de qualité différente. Les images de Le Gray ou de Stieglitz sont toutes des vintages, ce qui n’est pas le cas de celles de Kertész, en raison des multiples tirages postérieurs. La rétrogradation d’Atget s’explique, elle, par le fait qu’on ne trouve plus de pièces importantes du photographe. Il est, en outre, difficile de réunir sur un même pied Stieglitz qui est l’un des deux ou trois plus grands photographes du siècle – il talonne les dix premiers dans ce classement – et Ansel Adams pour lequel il existe une multitude de tirages postérieurs.

Répartition du chiffre d’affaires par ville de vente
Il est surprenant que la progression du produit des ventes parisiennes ces dernières années n’apparaisse pas dans ce “camembert” comparant l’importance respective des grandes places mondiales de la photographie entre la période 1990-1999 et l’année 1999-2000. Il montre, au contraire, que Paris rétrograde, la part du produit de ses ventes passant de 6 % à 3 %. La capitale française devrait pourtant réaliser, en quelques semaines cet automne, 10 millions de francs de produit, un résultat qui n’était obtenu, il y a peu, qu’au terme d’une année de ventes. De même, les vacations qui réalisaient 700 000 francs de produit il y a quelques années totalisent, aujourd’hui, 2 à 2,5 millions de francs. La Grande Vague de Gustave Le Gray partirait aujourd’hui autour de 2 millions de francs alors qu’elle ne dépassait pas il y a cinq ans les 500 000 francs. Parmi les images du XIXe siècle se trouvent parfois des photographies inconnues qui réalisent de gros prix. Un daguerréotype, estimé 500 francs, est parti à 245 000 francs en octobre à Drouot dans une vente courante.

Au moment d’analyser ces diagrammes, précisons que la vente André Jammes a généré à elle seule, à l’automne 1999, 75 millions de francs de produit contre 5-6 millions de francs pour une vente habituelle chez Christie’s South Kensington et 20 à 22 millions de francs pour une importante vente londonienne. Cette vacation explique que la part du gâteau de Londres passe de 20 à 28 % en chiffre d’affaires. Le marché américain demeure largement en tête même s’il cède une petite partie de son avance. Du côté de la photographie XIXe, le marché est fort à New York pour les images américaines ou pour quelques Européens célèbres comme Nadar ou Le Gray, à condition qu’il s’agisse d’images importantes. Un Atget provenant d’une collection réputée, comme celle de Tristan Tzara, représentant par exemple une prostituée, obtient généralement à New York des enchères plus soutenues. Mais un Baldus n’intéressera personne. Il faut le vendre à Paris ou à Londres. Ce diagramme montre également aussi un accroissement du chiffre d’affaires réalisé par “les autres villes” – celles qui n’appartiennent pas au petit cercle des grandes capitales du marché de l’art dont Berlin ou Bruxelles – qui passent de 8 à 12 % entre la période 1990-1999 et 1999-2000. Les grosses ventes, organisées depuis deux ou trois ans par trois maisons allemandes dont Villa Grisebach à Berlin, expliquent en grande partie cette progression des “autres villes”.

Répartition des transactions par ville de vente
On constate que New York se taille la part du lion en chiffre d’affaires (57 % du marché mondial) en vendant moins d’œuvres que toutes les autres places réunies (34 % des transactions mondiales). New York et Londres préfèrent vendre des images importantes abandonnant ainsi aux autres villes la petite marchandise. Ce sont les salles de vente allemandes qui connaissent la plus forte progression en termes de quantités vendues. Elles présentent régulièrement des catalogues comprenant 500 numéros. En témoignent les 42 % de parts de marché réalisées par ces “autres villes” sur la période 1999-2000 contre 24 % entre 1990 et 1999. On ne peut pas appliquer à ce marché jeune les règles applicables à des spécialités plus anciennes comme la peinture moderne. Je craignais, après la vente Jammes, que la plupart des lots intéressants soient confiés à des maisons de vente étrangères. Or depuis la vente Jammes, les auctionneers n’ont rien vendu d’exceptionnel en photographie XIXe.

Chiffre d’affaires par classe de prix et par nombre de transactions
Les documents montrent que la majeure partie des photographies se vendent dans une fourchette de prix comprise entre 1 000 et 5 000 dollars. Celles qui se négocient à plus de 20 000 dollars, relativement rares, génèrent pourtant un chiffre d’affaires nettement plus important que celles inférieures à 1 000 dollars.

Comparaison des photographies des XIXe et XXe siècles
On observe un léger tassement du marché entre 1990 et 1991 en période de crise du marché de l’art puis une explosion des transactions à partir de 1997-1998. La courbe-indice de la photographie montre que jusqu’en 1994, les collectionneurs achetaient toute la photographie, tant XIXe que XXe. Les collectionneurs se séparent plus facilement de leurs images en ce moment. Nombre d’entre eux pensent que c’est le bon moment pour vendre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : Photographie : qui se vend, pourquoi et où ?

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